Des livres en prison, des livres de prison

Quand je dis en ce moment que je ne lis rien, c'est presque faux.
Justement, profitant d'un air frais et plutôt pluvieux, j'ai parcouru, à nouveau mais d'un oeil, le "Fractures d'une vie" de Charlie Bauer, acolyte de Mesrine. Je tenterai de le résumer dans quelques temps. Il est vieux (années 90), éprouvant et surtout il amène à une pensée: en prison, c'est comment? On pense quoi, on écrit comment quand on passe à l'écriture dans ces conditions?
J'aimerai bien que l'on me propose des écrits de prison ou qui parlent de prison mais des bons.
Je serai preneuse.

- "Le zéro et l'infini" d'Arthur Koestler.

J'espère ne pas faire de fautes de mémoire car j'ai lu cet ouvrage il y a environ 8 ans et ne l'ai pas relu. Pourtant il m'a passionné.
Cet ouvrage se passe dans une dictature totalitaire qui ressemble plus que fortement à l'URSS. Le personnage principal, un dénommé Roubachov, ex-artisan de la Révolution, est désormais emprisonné et condamné. L'atmosphère rappelle les longs procès d' "épuration" au sein même du Parti soviétique (sous Staline je crois). Durant son incarcération, et jusqu'à l'issue fatale, Roubachov fait le point sur lui-même et ses actions passées. En somme, il se retrouve lui-même dans une situation dans laquelle il a mis jadis de nombreuses personnes lorsque, puissant et redouté au sein de sa faction, il avait le pouvoir de faire incarcérer ou exécuter ceux ayant le malheur de lui apparaître comme des opposants.
L'univers carcéral est omniprésent dans le roman: murs, geôliers, communications entre prisonniers au moyens de coups sur les murailles, tortures, interrogatoires.
J'en ai gardé le souvenir d'un excellent roman, sobre, efficace et réfléchi, qui se lit assez vite.

- Sinon il y aussi, plus "classique", "le dernier jour d'un condamné" de Hugo, écrit à la première personne, sorte de journal d'un prisonnier.

Mais sur le thème de la prison, je connais surtout des textes de fiction comme les deux ci-dessus, pas de témoignages. Sont-ce ceux-ci qui t'intéressent en priorité, ou es-tu aussi preneuse de récits inventés?

Eh bien...c'est toujours un penchant pour l'autobio pour changer... mais pour l'instant, je suis preneuse d'un peu tout...

Eh bien Dona, une amie m'a offert "Les Murs, l'Image et les Mots...".
Il ne s'agit pas de l'oeuvre d'un auteur, mais de plusieurs, puisque des détenus parlent.
Ce livre fait partie de mes piles d'attente, je ne peux donc pas te dire mon sentiment. Je te livre l'introduction ;

Libres, volontaires, des hommes de tous âges ont décidé d'être partie prenante d'un projet collectif et se sont engagés en renonçant à l'inertie - quand la tentation est grande de rester les yeux rivés sur le petit écran ou encore couché...
Ils ont accepté la présence de personnes qu'ils n'avaient pas choisi de côtoyer ou qu'ils rejetaient pour la différence de leurs actes. Ils ont respecté un lieu qui pouvait leur sembler espace de liberté, mais qui régit également des règles. Et ils ont écrit, sans peur, ou en se risquant.
Ils ont eu la volonté de s'exprimer, communiquer, bien ou mal, avec leurs capacités ou leurs lacunes, certains découvrant le pouvoir des mots qui ne sont ni dossier, ni jugement, ni condamnation, mais qui arivent à la communion, au partage, à la libération.
Ces hommes ont pensé ensemble.
Ils se sont aidés à penser.
Ils ont aimé penser.
Certains ont appris les uns avec les autres et ont également apprécié cela. D'autres ont pris conscience qu'on pouvait, à l'aide de mots écrits, ranimer des images, vivre des émotions, ouvrir des perspectives.
Chacun a fait son propre choix d'un texte poétique, fictionnel ou discursif, mais avec la contrainte de faire revivre tous ses sens dans le souvenir ou l'imaginaire.
Obligation de faire fonctionner sa mémoire, retourner sur les pas du passé, approcher de nouveau cette vie perdue ou rêvée, vie souvenir de soi ou empruntée à un autre, mais qui pour beaucoup n'existe plus, ou paraît trop douloureuse à ré-aborder.
Se raconter soi-même ou inventer.
Oser se livrer.
Ecrire la vie à l'extérieur.
Liberté a été laissée à tous de choisri le moment le plus propice ou le moins défavorable pour écrire : ausein du groupe, où le silence de la salle pouvait ramener chacun au souvenir et aux sensations, ou bien dans le temps "privé" de la cellule - place choisie par certains - car difficile à une écriture d'être collective.
Il n'y a pas eu de censure à l'encre rouge sur les mots que l'on avait envie d'aligner. Et l'idée qu'il fallait produire de "beaux" textes a été laissée de côté.
Mais des corrections ont été apportées parce qu'il fallait savoir se montrer exigeant, ne pas écrire comme l'on parle, et parce que chacun savait qu'il serait lu.
Il a fallu apprendre à être rigoureux et accepter de réécrire.

Les temps impartis à la parole ont été nombreux, pour que renaissent des représentaitons, revivent des sensations et se retrouve un quotidien perdu.
Tous ont parlé et partagé.
Pour devenir et être.
Exister et redevenir libre en ayant le droit de signer ou pas leurs écrits de leur nom.
Car enfin l'homme accède au dehors, réussit à dépasser les barreaux, et approche le bonheur d'être là. Merveilleuse récompense pour celui qui a su renoncer à sa cellule.
Bravo à vous qui tout au long de ces séances, avez ouvert vos yeux, vous êtes interrogés et avez ressenti des "choses".
Vous avez approché des images de la vie qui ne sont plus.
Vous avez été conscients d'un temps de bonheur simple retrouvé.
Vous avez oublié ce statut de personne incarcérée pour faire sortir ce qu'il y a de plus précieux en soi, de la sensibilité et du désir.
Vous êtes devenus, l'espace d'un moment, un être de chair et d'esprit doté de liberté parce qu'il y avait échanges de mots, que vous réprimiez certaines haines et acceptiez l'altérité et qu'enfin vous avez su mener à terme un projet voulu qui vous a fait grandir dans la confiance, sans mépris ni rivalité.

Les illustrations sont de Henri Zerdoum, photographe.
Editions L'Etrave.

je sais que c'est un peu vieux...mais il y a tout Albertine Sarazin..

vilain a écrit:

je sais que c'est un peu vieux...mais il y a tout Albertine Sarazin..

Si je ne m'abuse, Don Quichotte a été écrit en prison, et certains Sade aussi.

Clair Obscur a écrit:

Eh bien Dona, une amie m'a offert "Les Murs, l'Image et les Mots...".
Il ne s'agit pas de l'oeuvre d'un auteur, mais de plusieurs, puisque des détenus parlent.

C'est le genre d'ouvrage qui m'intéresse je crois. Je dois y jeter un oeil. Je cherche, c'est pourquoi je me tournerai davantage vers l'autobio, des témoignages. Comment résiste-t-on au temps hors du temps normal? Comment gère-t-on son identité quand on est enfermé, gardé? ...