A la porte du Père Clarisse, Frère Gérome actionne la sonnette. Au bout d'un moment, Clarisse ouvre la porte.
CLARISSE: Bonjour Monsieur l'Abbé ... C'est pourquoi ?
FRERE GEROME: Bonjour Monsieur Clarisse ... Excusez-moi de vous déranger... Voilà, j'ai la roue avant de mon vélo qui est crevée. On m'a dit que vous pourriez me donner un coup de main pour réparer.
CLARISSE: Bien sûr Monsieur l'Abbé. entrez donc !
Frère Gérome entre dans la cour de la maison de Clarisse. Celui-ci examine le vélo.
CLARISSE: Mais, c'est le vélo d'Antoine que vous avez là ?
FRERE GEROME: Oui, il me l'a prêté ... J'avais envie d'aller à la pêche ce matin.
CLARISSE: Alors, vous êtes un des curés qui logent chez lui et qui posent des questions au sujet de Patinette ?
FRERE GEROME: Oui ... On vous en a parlé ?
CLARISSE: Bof, vous savez, tout se sait au village. Même quand on habite un peu au dehors, comme moi.
Pendant toute cette scène, le Père Clarisse, tout en parlant, répare le pneu du vélo.
CLARISSE: Et encore, moi, je ne fais pas attention aux autres. Ce qu'ils font ne me regarde pas ... Pas comme la Mère Roger, en face, toujours derrière ses carreaux à espionner ses voisins. Elle pourrait en raconter, elle, sur le Patinette et la Marie Patinette. Toujours à espionner son prochain ! Alors, forcément, comme sa cour donne chez le Patinette, elle les connaît mieux qu'ils se connaissent eux-mêmes, je suis sûr ! Remarquez, c'est pas une mauvaise femme, mais il faut toujours qu'elle se mêle de tout. Y'a des gens comme ça. Presque tous les jours, elle a la visite d'autres vieilles comme la Mère Gabrolier, la femme de l'ancien Maire. A croire qu'elle crèvera jamais celle-là ... Ou alors c'est la Mère Péteille, c'te vieille carne ... Quand c'est pas la Cancanne... Vous la connaissez, la Cancanne ?
FRERE GEROME: Je ne crois pas.
CLARISSE: Ah, la Cancanne ! Encore tout un poème celle-là .... La Cancanne, c'est comme ça qu'on l'appelle au village. En fait, c'est germaine. La femme du maire. C'est drôle, mais elle a toujours été comme ça, à causer des autres, même à l'école quand elle était petite. C'est à cette époque qu'on lui a donné ce nom. Et puis, ça lui est resté .... Remarquez, faut lui pardonner ... Elle a pas bien d'autres plaisirs, la pauvre. Elle en a pas eu de se retrouver mariée avec le Vilette. Ca a beau être le Maire, c'est pas un drôle. Surtout avec la Cancanne. Un vrai tyran ... Il paraît même qu'il la bat... Sans compter que c'est un coureur fini, toujours en train de se frotter aux servantes ... Alors forcément, la Cancanne, elle prend son plaisir où elle le trouve... Et elle, son plaisir, c'est de dire du mal des autres. Faut comprendre !
FRERE GEROME: Oui, bien sûr ! On a tous nos petits défauts.
CLARISSE: N'empêche qu'il y en a qu'en ont plus que d'autres. Y en a même qu'ont que ça, des défauts... Tenez, le Patinette ! Paix à son âme ! N'empêche que c'était un drôle de citoyen... Fainéant comme une couleuvre, soûlot comme c'en était pas possible. Toujours à faire des trucs pas permis, à braconner ... et malin avec ça... Jamais il s'est fait prendre.... Remarquez que Lanvin, le garde-champêtre, il est bien gentil. Mais il est pas bien malin, allez ! Et puis, il est toujours au bistro, alors frocément, ils se connaissaient bien avec l'autre ivrogne... Ah, elle en a vu de dures la Marie ! Toujours à se faire cogner dessus, toujours à bosser comme une négresse. Le Patinette, tous les jours, il la battait pour avoir de l'argent ! Il la forçait à faire la servante chez le Vilette, à faire des lessives. Après, il lui faisait des scènes. Heureusement qu'elle est croyante, la Marie ! Sinon, je crois bien qu'elle aurait jamais tenu le coup, la pauv ' femme ! Remarquez qu'elle est pas bien maligne, celle-là non plus... Quelle idée d'aller se fourrer avec cet ivrogne ? Au fond, moi, je dis qu'elle a eu ce qu'elle méritait ! On n'a pas idée. Mais quand même c'est pas moi qui aurait envoyé Madame Clarisse faire des ménages chez les autres. C'est pas bien digne..... Et bien voilà...Il est réparé ce pneu...
FRERE GEROME: Merci Monsieur Clarisse... Je vous dois quelque chose ?
CLARISSE: Mais non Monsieur l'Abbé, c'est un plaisir pour moi d'avoir pu vous rendre service ... Vous avez bien un moment, le temps de prendre une tisane...J'aime bien vous entendre causer...Entrez donc...Ah, n'oubliez pas les patins ! C'est Madame Clarisse qui serait pas contente que vous marchiez sur son plancher avec des chaussures toutes crottées !
On peut lire sur le visage de Frère Gérome une moue d'abattement.