Le café d'Antoine, le soir. Les beloteurs sont à leur poste. Antoine est derrière son bar en train de discuter avec l'instituteur Bousch. Angèle est dans l'épicerie avec Sylvaine. Frère Gérome entre.
FRERE GEROME: Bonsoir tout le monde !
LES AUTRES: Bonsoir l'Abbé !
ANTOINE: Alors l'Abbé, la pêche a été bonne ?
FRERE GEROME: Oh, j'ai surtout nourri les poissons !
PERE SIMON: Hé hé ! Ca en fait au moins qui aurons trouvé goût à la chose...
PERE GERVAIS: Mais, dites-moi l'Abbé...C'est une drôle de façon de mener votre enquête que vous avez là... Y va rien dire votre évêque, vous croyez ?
FRERE GEROME: Non, Père gervais ! Officiellement, je suis en vaçances !
PERE GERVAIS: Parce que vous avez droit aux vaçances, en plus ?....Si c'est pas malheureux, jamais j'en ai eu de vaçances moi, même quand j'étais gosse. Pendant les vaçances, j'aidais mon père à la ferme...Maintenant tout le monde il est tout le temps en vaçances !
ANTOINE: Qu'est-ce que vous en auriez fait des vaçances ? Ca vous aurait changé quoi ?....A la saison des champignons, vous ne travailliez pas parce que c'était le moment des champignions; Pendant la chasse, parce que c'était la chasse; Les autres moments parce qu'il faisait trop beau...ou trop mauvais...
PERE GERVAIS: Oh, oh, doucement gamin ! C'est pas ma faute si la terre, elle a besoin de bonnes conditions pour être travaillée; Si ça avait tenu qu'à moi....
ANTOINE: C'est pas croyable d'entendre des choses pareilles...Il a pssé ici les trois quarts de son existence à taper le carton, ce vieux débris, et il vient chanter qu'il s'est tué au travail...Si c'est ça travailler, j'en connais quelques-uns qui seraient volontaires moi !
PERE SIMON: Hé hé hé !
FRERE GEROME : Allons Messieurs, calmez-vous ! J'ai passé une bonne journée, je n'ai pas envie qu'on me la gâche avec des vieilles querelles qui ne servent à rien !
BOUSCH: Monsieur l'Abbé a raison ! Allons Antoine, allons Père Gervais. Est-ce une façon de se comporter ça ?
PERE GERVAIS: Il a qu'à pas me chercher, le gamin ! Moi, quand on me cherche, on me trouve.
BOUSCH: Oui; Bon. N'en parlons plus.
Les beloteurs se remettent à jouer. Bousch et Frère Gérome s'assoient à une table.
BOUSCH: Alors, Monsieur l'Abbé....Maintenant qu'ils se sont calmés...Dites-moi donc ce que vous avez fait de beau aujourd'hui, à part donner à manger aux poissons !
FRERE GEROME: Pas grand-chose Monsieur l'Instituteur. J'ai passé l'après-midi chez le Père Clarisse. Mon vélo était crevé. Lanvin m'a conseillé d'aller le voir.
BOUSCH: Il travaille bien....
FRERE GEROME: Et il parle encore mieux. Il n'a pas arrêter de tout l'après-midi ! J'ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi médisant. A l'entendre, il n'y a que lui de parfait, et Madame Clarisse bien entendu !
BOUSCH: Oui, c'est une personnage....
PERE GERVAIS: C'est une punaise, oui ! Toujours à dire du mal des autres. C'est pas étonnant à force de boire de la tisane....Ca devrait pas exister une engeance pareille ! Il a dû vous en raconter des choses, ce vieux cancrelat .... !
FRERE GEROME: Oui, pas mal. Mais j'ai pas fait attention à tout.
BOUSCH: Et cette enquête, ça avance ?
FRERE GEROME: Justement, le Père Clarisse m'a donné deux ou trois renseignements qui peuvent être intéressants, il faudrait que je vérifie...
BOUSCH: Des renseignements sur Patinette ?
FRERE GEROME: Oui....Et il m'a conseillé, pour en savoir plus, d'aller voir la Mère Roger.
BOUSCH: Il n'a pas tort...Elle habite en face de chez Patinette, et comme elle est toujours fourrée derrière ses rideaux, elle en sait des choses.
PERE GERVAIS: Ca, tu peux le dire ! Une vraie gazette...
LANVIN: Faut la comprendre ! Elle a pas d'autres distractions depuis que le Père Roger, il est passé.
PERE SIMON: Ca fait combien de temps déjà qu'il est mort le Père Roger ?
PERE GERVAIS: Ca fera dans les six ou sept ans à la chandeleur...Encore un qu'était un fameux gaillard !
PERE SIMON: Hé hé ! Ca, t'as raison gervais, la Mère Roger, c'était une sacrée fumelle à l'époque...Tu te souviens du 14 Juillet ?
PERE GERVAIS: Si je m'en souviens ! Pour sûr, oui, que je m'en souviens...Et toi Antoine ?
ANTOINE: Tout le monde ici s'en souvient.... Les pépés, c'est pas parce que vous perdez la tête que tout le monde en fait autant !
BOUSCH: Père Simon, c'est quoi encore cette histoire de 14 Juillet ? Je ne l'ai encore jamais entendue, moi, cette histoire !
ANTOINE: C'est vrai, vous étiez pas encore au village. Oh, ça a vraiemnt fait toute une histoire....
BOUSCH: ( se levant et se dirigeant vers la table des beloteurs) Eh bien, racontez-nous ça. Ca nous distraira. Venez donc Monsieur l'Abbé !
FRERE GEROME: J'arrive, j'arrive !
Antoine se rapproche à son tour, puis Angèle et enfin Sylvaine. Tous se retrouvent assis près de la table des beloteurs.
PERE SIMON: Hé hé !... J'sens qu'on va passer une bonne soirée, comme je les aime. Raconte Gervais !
PERE GERVAIS: Oh, ça a pas d'importance, tout ça.
LANVIN: Allez, racontez Père Gervais !
PERE GERVAIS: Mais tu la connais toi, Lanvin, cette histoire.
SERPETTE: Ca fait rien Père Gervais...Racontez.
PERE GERVAIS: Toi aussi, tu la connais et toi aussi, Antoine.... L'Angèle aussi, elle y était.
SYLVAINE: Peut-être, mais moi j'y étais pas....
PERE SIMON: Hé hé !
PERE GERVAIS: Ca, c'est vrai. J'sais même pas si t'étais née.....C'était dans les années 60....Hein, Simon ?
PERE SIMON: Hé hé ! A peu de choses près, oui .
ANTOINE: Oui, à epeu près. J'devais avoir dans les vingt ans... Tout ce que je sais, c'est que c'était avant mon service. C'est dire si c'est pas d'hier !
SYLVAINE: Ah vous voyez ! Et papa, il ne m'a jamais raconté cette histoire.
PERE GERVAIS: Mais puisque je te dis qu'elle n'a pas d'intérêt cette histoire !
SYLVAINE: Oh, Père Gervais ! Allez, soyez gentil pour une fois ! Tenez, je vais vous faire un gros bisou.
PERE SIMON: Hé hé !
Sylvaine s'approche du Père Gervais et lui fait quatre bises sonores. Le Père Gervais en profite pour passer la main sur le postérieur de Sylvaine.
ANTOINE: Eh ! Doucement, doucement, vieux satyre !
SYLVAINE: Papa !
PERE GERVAIS : Dis donc, l'Antoine, c'est qu'elle grandit ta petite....(à Sylvaine) Dommage que j'ai pas vingt ans de moins, tu sais ! ( regard sombre d'Antoine.)....Bon...Retourne donc à ta place...J'vais raconter.
Sylvaine retourne s'asseoir et fait un clin d'oeil entendu aux autres, en particulier à Bousch.
PERE GERVAIS: Pour ceux qui savent pas....Faut commencer au commencement. Le Père Roger, il était pas du pays. C'était un Parisien de la banlieue. Il était cheminot. Il était marié, avait trois enfants. V'là-t'y- pas qu'à un an de le retraite, y tombe veuf. C'est pas que ça le gênait trop, mais il avit pas envie de se retrouver seul à la retraite. Alors il a passé une petite annonce. C'est comme ça qu'il a épousé la Mère Roger et qu'ils se sont retrouvés ici l'année d'après. Il lui apportait sa retraite, elle lui faisait sa cuisine...Et tout le monde était content. Elle était plus jeune que lui d'une quinzaine d'années, mais c'était courant à c't'époque. Et puis elle avait pas mal vécu. Il s'est vite acclimaté, le Père Roger. Comme il avait rien à faire de ses journées, il venait taper le carton avec nous. C'était un bien brave homme. Il aimait les roses... Il avait un tas de rosiers magnifiques... Faut croire qu'y a pas de justice, parce que c'est un rosier qui l'a tué ! Un matin qu'il les taillait ses rosiers, v'là qu'y s'pique ; y fait pas attention, forçément....Il est mort quèque temps après du tétanos....
PERE SIMON: Hé hé ! Qui aime bien, châtie bien....
PERE GERVAIS: P' t' êt' bien ! Toujours est-il que, pour en revenir à cette histoire de 14 Juillet, ça faisait cinq ans à peu près qu'il était au village et qu'il venait passer tous ses après-midi ici... On rigolait bien; Il tenait bien la bouteille, le Père Roger. Ca, on peut dire. Et puis, pas méchant quand il avait bu. C'qui fait que la Mère Roger le laissait faire....Elle y perdait pas au fond. Elle avait la paix et puis, à sa façon, il était sérieux... Tous les soirs, y partait après l'apéritif. Tous les soirs, à la même heure ! Une vraie horloge.
Mais, à ce 14 Juillet, je sais plus trop pourquoi, il arrivait pas à décoller. Faut dire qu'on avait pas mal bu, hein Simon ?
PERE SIMON: Sûr ! Même qu'au matin, on s'est retrouvés dormant dans l'cimetière, hé hé hé !
PERE GERVAIS: Oui... Bon....Enfin, toujours est-il qu'à neuf heures du soir, le Père Roger, il était toujours ici...Tout d'un coup, v' là la Mère Roger qui débarque et qui tente de l' faire renter. Roger, il était tant saoul qu'y voulait rien savoir....V' là la Mère Roger qui r' part et un quart d'heure plus tard, qui reviens avec un tisonnier à la main....
PERE SIMON: Hé hé....
PERE GERVAIS: Z'auriez vu cette rouste qu'elle lui a mise, à vous dégoûter à tout jamais de vous marier !... Mais sûr qu'on a bien ri....
PERE SIMON: Hé hé...
PERE GERVAIS: Heureusement pour toi, Antoine, y'' en a plus des femmes comme ça de nos jours ! Ca te ferait perdre des sous....
Rire général.
SERPETTE: N'empêche que, depuis qu'il est mort, elle a bien baissé la Mère Roger.
LANVIN: T'est drôle, toi ! C'est qu'elle vieillit elle aussi. Elle doit bien approcher les soixante-dix maintenant !
PERE SIMON: Oui, à peu près. Elle est dans nos âges, hein Gervais ?
PERE GERVAIS: Exactement le même âge que moi, elle a. On est de la même classe....Bon, c'est pas tout. Si tu nous donnais à boire, l'Antoine...C'est que ça donne soif de parler comme ça.
Tout le monde se met à rire. Antoine se lève pour servir.
Pendant ce temps, Angèle, assise à côté du Frère Gérome...
ANGELE: N'allez pas croire, c'est une brave femme, la Mère Roger. Allez donc la voir, elle pourra vous en raconter, elle, sur Patinette !