… du subjonctif.
Ils ne s'aimaient pas.
« Mais c’est en poésie que l’imparfait du subjonctif est insupportable. Lisez ces vers de Lamartine :
Moi-même je tombai, teint du sang du martyr,
Confusément frappé de rumeurs et de cris,
Soit que l’horreur du sang eût glacé mes esprits,
Soit qu’animé par Dieu d’un plus mâle courage,
Tant que je n’avais pas accompli son message,
Mon œuvre consommée et le saint vieillard mort,
Je ne puisasse plus de force dans l’effort
Et, retrouvant Laurence en mon cœur effacée,
Je tombasse frappé par ma propre pensée.
(Jocelyn, p. 158, in-18 )
L’accord était peut-être ici difficile à éviter ; mais ceci est l’affaire de l’écrivain.
Cet accord de l’imparfait du subjonctif indignait Flaubert :
" Il prétendait, dit Maxime du Camp, et il a toujours prétendu que l’écrivain est libre, selon les exigences de son style, d’accepter ou de rejeter les prescriptions grammaticales qui régissent la langue française, et que les seules lois auxquelles il faut se soumettre sont les lois de l’harmonie. Ainsi, il n’eût pas hésité à dire : " Je voudrais que " vous alliez ", au lieu de : " Je voudrais que vous " allassiez ", parce que l’imparfait du subjonctif est d’une tonalité déplaisante (du reste, George Sand était ainsi). Là-dessus nous discutions sans désemparer. Un soir, nous avions travaillé jusqu’à une heure du matin. Vers trois heures, je fus réveillé par un effroyable vacarme à la porte : coups de sonnette et coups de pied ; je me lève tout effaré, je vais ouvrir. Sur le palier, Flaubert me crie : " Oui, vieux pédagogue, l’accord des temps est une ineptie, j’ai le droit de dire : je voudrais que la grammaire soit à tous les diables et non pas : fût, entends-tu ? " Puis il dégringola les escaliers sans même attendre ma réponse . "
Flaubert avait raison. On n’a, pour s’en convaincre, qu’à pousser un peu les choses. Qui oserait écrire :
Je voudrais que vous retournassiez sur vos pas…
Il faudrait que vous vous jetassiez sur l’ennemi…
Il désirerait que nous nous informassions à ce sujet.
Voudriez-vous que je m’en mêlasse; que vous filassiez de la laine ; que nous nous embrassassions ; que vous dissimulassiez votre opinion et que vous me donnassiez des nouvelles…
" Que pensez-vous, dit George Sand, de ce subjonctif qui oblige un amoureux à dire en scène : " Ah ! si j’étais sûr que vous m’aimassiez, que mes paroles vous touchassent, que vous daignassiez m’épousez, que vous le proposassiez, que vous vous déclarassiez à vos parents ", etc. Si cette grammaire était débitée sérieusement sur un théâtre, il y aurait dans la salle un rire inextinguible. Qu’est-ce donc qu’un temps de verbe dont on ne peut se servir, ne fût-ce qu’une fois, dans une tirade, sans blesser l’oreille et chasser l’émotion ? Ne serait-ce pas assez de le conserver dans les verbes auxiliaires ; ne faudrait-il pas le proscrire de l’enseignement pour les autres verbes, comme les gens qui se respectent le bannissent de leur langage et de leur style ? Tout le monde entend : " Je veux qu’ils s’y habituent " Entendrait-on moins bien : " je voudrais qu’ils s’y habituent " que habituassent ? "
L’accord de l’imparfait du subjonctif est une affaire de tact. Toutes les fois que l’on peut, il faut l’éviter.
Si l’imparfait du subjonctif rend la prose vulgaire, il y a d’aussi graves inconvénients à abuser, par exemple, du passé défini, qu’on appelle aujourd’hui le passé simple. »
Antoine Albalat. Comment il ne faut pas écrire. Les ravages du style contemporain. Plon, Deuxième édition, 1921. Extr. du chapitre III.
À télécharger ici :
http://www.uhb.fr/labos/celam/textes_biblio/textes.htm(Merci Houba-Houba - un inconnu qui a fourni le lien pour le forum Wanadoo Littérature.).