Ce film n'est pas récent mais je lui trouverai toujours une atmosphère particulièrement pesante. Il diffuse un sentiment d'effroi très particulier.
"Beloved"Peut-être l'avez-vous lu ou vu?
Roman écrit par Toni Morrisson, traduit de l'anglais en 1989, a raflé le Pulitzer en 88.
Epoque: avant l'abolition de l'esclavage en 1848.
Lieu: aux environs de Cincinnati dans l'Ohio.
Thème: Sethe, esclave en fuite, égorge son bébé pour lui éviter le sort d'esclave.
Depuis ce jour funeste, la maison de Sethe est hantée par l'âme vengeresse de sa petite fille. Les fils fuient la maison bouleversée par les manifestations surnaturelles incessantes. Seule la seconde fille demeure auprès de Sethe. 18 ans après le meurtre, Beloved, le bébé assassiné, ressurgit, morte-vivante et s'attache, progressivement, à détruire la vie de sa mère et de sa soeur.
L'infanticide, l'impossible nécessité d'exorciser le passé, la souffrance d'être mère, l'expiation confèrent au roman une dimension qui dépasse largement celle du genre fantastique. C'est un univers très étrange que celui de Beloved dans la mesure où le spectateur adhère totalement à ce qu'on lui montre n'ayant aucun autre procédé mis à disposition (puisque l'histoire est racontée du point de vue de la mère) pour imaginer que l'apparition du spectre n'est qu'illusion. Tout au contraire, l'effet de réalité est renforcé par le fait que le fantôme du bébé est vu par des témoins extérieurs à la famille. Rationnellement on pourrait imaginer que Beloved réincarnée n'est autre que la vision psychotique d'une mère torturée par l'infanticide, si légitime a-t-il pu être. Toutefois, le roman comme son adaptation cinématographique ne proposent aucune équivoque quant à cette renaissance privilégiant plutôt la croyance du monde d'outre-tombe.
Le film de Jonathan Demme reproduit, sans trop d'écart, l'angoisse diffuse qui parcourt tout le roman. Le malaise général vient du décalage de l'étrange réalité que l'on donne à voir à l'occidental: là où tout paraîtrait incroyable et effroyable dans un scénario américain à gros budget, on perçoit plutôt une atmosphère tragique et délétère plus pénétrante et morbide: une surréalité basée sur l'animisme africain où l'intrusion de la mort est matériellement manifeste et tacitement reconnue dans la vie réelle. C'est ce décalage entre le sentiment de peur, très souvent lié au genre fantastique et la culture ancestrale africaine, qui me semble intéressant dans l'oeuvre littéraire et cinématographique.