Nouvelle, "lex Expériences insolites"

Les expériences insolites


Au salon de coiffure

Ce matin, j’ai décidé d’aller me faire couper les cheveux. La dernière fois, c’était il y a deux mois. C’est une bonne fréquence : au-delà de deux mois, mes cheveux forment une crête hirsute et me font perdre tout mon pouvoir de séduction.
Je suis parti de chez moi le cœur léger : après le coiffeur, j’ai rendez-vous avec ma petite amie, et je sais que je serai bien coiffé pour lui plaire. En outre, j’apprécie la jeune femme qui me coiffe : elle est très douée, charmante et sympathique, et parfois j’en viens même à regretter que mes cheveux ne poussent pas un tantinet plus rapidement, pour avoir l'occasion de retourner la voir plus souvent. C’est justement la quatrième fois que je vais la retrouver. D’accord, c’est peu. Il est rare que je reste fidèle au même coiffeur, mais je suis particulièrement attaché à elle, et dès que je sors de son salon, je compte les jours avant d’y revenir.
J’arrive à destination. A première vue, il me semble qu’elle n’est pas là. La responsable du salon me fait passer la blouse de protection en vue de me faire un shampooing, quand soudain je m’enquière de ma coiffeuse favorite. On m’apprend qu’aujourd’hui, elle ne travaille pas ici, qu’elle est allée donner un coup de main dans l’autre salon, qui manque de personnel en cette période de vacances. Qu’à cela ne tienne, je prends congé et parcours d’un pas allègre les trois kilomètres me séparant de ma coiffeuse aux doigts de fée.
Exténué par une longue marche sous un soleil éclatant, tout en sueur, quel réconfort de la retrouver, avec son sourire flamboyant. Elle m’accueille et me prie de patienter. Je me pose sur un siège, avise un magazine que je me mets à faire semblant de feuilleter, tout en la regardant du coin de l’œil. Le coup de main agile et précis, elle est en train de coiffer un jeune homme. Le veinard ! Mais patience, mon tour viendra. Je la regarde. Ses cheveux courts, explosifs, de couleur rouge, excitent les sens du taureau astrologique que je suis ; sa peau a un grain magnifique, très pur, un teint de rousse qu’elle n’est pourtant pas. On a sacrément envie de la toucher tant elle semble douce. Mais elle seule en a le droit, de toucher, dans l’exercice de son métier. Je me contente de la toucher du regard.
Au bout de trente minutes d’attente interminable, elle vient enfin s’occuper de moi ; sa bouche vermillon me prie de m’asseoir sur le siège prévu pour le shampooing. Elle me passe une serviette autour du cou, s’informe si je suis bien installé, et me demande à quelle température je souhaite que mes cheveux soient abreuvés de son eau. Ressentant encore les effets de la chaleur conjugués à ma longue marche, je lui réponds que j’ai une grande envie d’eau froide. Elle règle la température et le débit du jet d’eau, et commence à me rafraîchir le chef. Ce faisant, j’en profite pour me relaxer et me rafraîchir les idées. Une fois mon crâne bien mouillé, elle met une noix de shampooing sur sa main et commence à me laver les cheveux. Rien que de très normal jusqu’à présent. Elle pose ses doigts avec application dans tous les recoins de ma tête. Cependant, après quelques instants de lavage, elle change de rythme et de méthode : ses gestes deviennent plus lents et plus précis ; ses doigts appuient plus vigoureusement ; les contacts sont plus langoureux… Elle s’est mise d’un coup à me masser le crâne, mais de quelle manière ! Très surpris, je commence à ressentir de vives émotions. Malgré le froid du liquide, mes joues s’échauffent. Je me demande ce qui m’arrive. Alors que j’avais l’habitude, jusqu’à présent, de lavages de cheveux tout à fait banals, parfois brusques même, je découvre en ce moment précis de nouvelles sensations. Le contact de ses doigts sur mon chef ne fait pas que me détendre : il m’excite beaucoup, et me fait petit à petit défaillir, d’autant qu’il semble s’éterniser, à ma plus grande joie, mais d’un côté, quel supplice...
Au bord de l’abandon total, je ne suis plus le maître de mes actes ni de mes pensées. Mes yeux se ferment, ma bouche s’entrouvre, de légers soupirs en sortent de temps en temps. Mes paupières s’ouvrent par moments comme pour respirer, je la cherche des yeux et ne la trouve pas; dans la position dans laquelle je me trouve, je ne peux pas la voir. Que peut-elle bien penser ? Est-elle satisfaite de l’état dans lequel ses mains m’ont projeté, ou bien reste-t-elle de marbre, consciencieuse de son travail quotidien, dont je ne suis qu’un client parmi des centaines d’autres ?

Je n’allais pas tarder à connaître la réponse : elle arrache d’un coup sec la serviette nouée autour de mon cou, avec laquelle elle essuie délicatement ses mains pleines de mousse blanche. Elle se met alors devant moi. Enfin je la revois… La flamme de ses cheveux est descendue sur son expression. Elle déboutonne ma chemise. Elle me regarde droit dans les yeux, passe lentement sa langue sur ses lèvres, et jette sa bouche sur la mienne. Le baiser qui en résulte a un goût de caramel, brûlé par le feu qui émane à la fois de sa personne et de la mienne – mon feu à moi ayant été attisé par ses caresses envoûtantes, alors que le sien semble naturel, son corps entier, de ses cheveux couleur diable à ses jambes voluptueuses, de ses joues écarlates à sa peau douce comme des pétales de roses rouges, ayant des dispositions à s’enflammer. Cette jeune femme a l’apparence d’une démone sensuelle, avec un désir à fleur de peau. Par ses caresses, elle parviendrait à damner un saint, et elle me conduirait à commettre tous les péchés.
Délaissant ma bouche, elle appose ses lèvres carmin sur mon torse. Tout en se déshabillant, elle continue de m’embrasser, de plus en plus bas. Elle se trouve à présent toute nue, un magnifique corps en éruption, les seins dressés contre moi. Je suis cloué à mon siège, sans aucune volonté, sinon celle d’accepter son châtiment. Complètement abandonné à mon sort (enviable), je ne vois rien d’autre autour de nous : il me semble que nous sommes seuls au monde. Les autres clients doivent être affolés de cette exhibition de débauche. Ma coiffeuse se met à danser nue devant moi, la danse du diable ! A chaque déhanchement, elle me porte un coup au cœur. Elle me retire d’un coup sec mon pantalon ; elle caresse mon sexe, qu’elle porte de temps en temps à sa bouche. Je suis sans réaction, incrédule à tout ce qui se passe. Voyant mon état, elle se marre. Elle sent qu’elle va bientôt me porter le coup de grâce, que je vais exploser d’une seconde à l’autre. Elle s’assoit alors sur moi, et se met à me chevaucher à une vitesse ahurissante, le bras en l’air comme si elle maniait un lasso, sa bouche dévorant ma langue. Je suis désarticulé, mais enivré de plaisir, et je vais jouir en elle. Elle crie, je hurle, nous nous unissons dans une belle cacophonie, après nos ébats particulièrement bouillants.


Mes yeux s’ouvrent avec difficulté, le jet d’eau ne coule plus. Elle m’essuie la tête avec la serviette et m’indique le siège où elle va me couper les cheveux. Elle me demande comment je souhaite être coiffé. Court sur les côtés, avec des pics sur le dessus, s’il vous plaît. Je reprends petit à petit mes esprits, puis je lui dis :
- Merci beaucoup pour le massage capillaire, c’était vraiment très agréable.
- De rien, sourit-elle. En effet, le massage des extrémités du corps, la tête et les pieds, sont les plus relaxants.
Ma nouvelle coiffure prend forme. Je paye ma coiffeuse, puis la quitte, songeur. Vivement dans deux mois !

Je n'ai pas grand chose à dire sur la forme, mais peut-être ne suis-je pas encore assez expérimenté pour ça. Je n'ai remarqué qu'une faute d'orthographe (s'enquière au lieu de s'enquiert). Quant au fond, on devine trop facilement qu'il s'agit d'un rêve. Tout le monde sait bien qu'on ne baise pas dans un salon de coiffure lorsque celui-ci est ouvert au public et en pleine affluence. La fin manque donc, à mon humble avis, d'originalité.

ça me fait penser à la mise en garde d'Yves Lavandier contre les deus ex machina. Je m'explique : un deus ex machina, en dramaturgie, c'est un événement très improbable qui intervient pour tirer le protagoniste d'affaire lorsque celui-ci est confronté à un obstacle insurmontable (l'erreur de dosage de l'obstacle entraîne l'erreur du deus ex machina). D'une certaine façon, le comportement de la coiffeuse est un obstacle, puisque se déshabiller et faire l'amour en public ne peut rester sans conséquences. On se dit que la situation est trop "problématique" pour qu'elle soit résolue autrement que par une sorte de miracle. Un songe n'est pas un événement très improbable, mais dans la situation où tu as mis tes personnages, on comprend vite, avant de lire la fin, que la scène érotique n'est pas vraiment réelle. Personnellement, j'aime bien les "chutes" inattendues dans les nouvelles.

Cela dit, j'aime bien la forme. Je trouve ça agréable à lire. Il y a un effort évident pour "styliser" l'expression que j'apprécie, c'est relativement fluide, mais peut-être pas assez, cela dit. Je crois que ça ne plaira pas à tout le monde. Certains lecteurs préfèrent une forme plus sobre, ou alors une forme dans laquelle l'effort d'embellissement n'apparaît presque pas, semble couler de source. Pennac, par exemple, a un style plutôt fluide, il écrit un peu comme on parle, et cependant les embellissements sont nombreux dans sa prose. Je te recommande la lecture de Daniel Pennac, en même temps que celle de Jardin dont tu sembles friand, je crois que cela pourrait peut-être t'aider. Ce conseil ne vaut peut-être pas grand chose, c'est à toi de voir.

Quand soudain je m'encquiers...

Tiesn à propos, c'est où ce salon de coiffure? J'accours...

A Marseille ! Tout est vrai, sauf la danse du diable et le strip-tease torride!