Claude Colson, alias Monilet,
Saisons d’une passion, Éd. Bénévent, 2002
C’est donc le roman de Monilet, qui a demandé une critique publique. Autant le dire tout de suite, c’est extrêmement difficile à critiquer. Si je considère le schéma proposé par Louis Timbal-Duclaux (et c’est un peu pour ça que je l’ai photographié l’autre jour
Cliquer ici), je situerais Claude Colson très nettement du côté du B « Nouveau Mallarmé, (..) obscur et peu lu ». C’est que
Saisons d’une passion est tellement personnel qu’on a l’impression de violer la conscience de l’auteur. C’est émouvant, d’autant plus que, pendant toute la première partie (le roman en comporte trois) le ton général est celui de la retenue et de la distanciation.
La partie centrale du roman est un recueil de poèmes en vers libres le plus souvent, qui, je dois le dire, m’ont laissé souvent de marbre, sans me renseigner sur la progression de l’affaire ; mais je suis mauvais juge : la poésie m’indiffère en général. Certains sont fort beaux, d’autres moins achevés, c’est selon. Ils décrivent la passion accomplie, sans souci de continuité de récit.
Enfin la dernière partie est un recueil d’entrées numérotées de journal intime de Bruno. Elle est courte, vingt pages, et désespérée puisque le cycle de l’amour est accompli.
C’est dire si ce principe de trilogie sans continuité, appliqué à un récit dont est parfaitement absente la moindre intrigue, est déroutant.
Ainsi donc, un amoureux abandonné se retourne sur un passé heureux et révolu. Il a aimé, et en a été payé de retour, d’une dame. Ce ne fut guère simple, et l’auteur se raconte à lui-même plus qu’à nous ce qu’il a compris de l’histoire, bien plus que ce qu’il a ressenti. En 42 pages, il erre dans ses souvenirs tentant tant bien que mal de les ordonner. Ils se sont plusieurs fois quittés, puis retrouvés. le lecteur que je suis est assez vite largué mais se contente de suivre la pensée de Bruno qui a aimé Florence.
J'aime le ton houellebecquien de la partie "récit" : c'est comme un examen à froid de la passion désormais morte. C'est un peu confus, mais on devine des abîmes dans le cœur de Bruno. Le mystère de cette Florence qui se donne et se refuse en même temps est intriguant. Ce n'est pas clair, cette passion, et bien frustrant, tout de même. Ce qui m’étonne et m’intéresse le plus, c’est le ton très versatile du récit.
Par exemple, page 27 : « La mère de Florence vit dans les yeux de Bruno l’amour fou ; il eut une alliée. Elle dit à sa fille : "jamais on ne t’a aimée autant. Réponse : "Autant, non, mieux, si".
Leur liaison dura encore quelques mois. les querelles revinrent ; nul ne change les êtres. » Claude Colson ne laisse jamais ses personnages s’épancher, alors qu’ils ne rêvent que de cela. Il les ramène à terre, les cloue d’un truisme houellebecquien et c’est ce qui me plaît (Houellebecq pratique l’inverse : il annonce d’abord le truisme, puis décrit la sitation qui en est l’illustration. Colson, lui, tire la conclusion théorique de l’échauffement). Il dit : Voilà : la passion, c’est ça, pas plus, et ça ne mène nulle part. Bruno (prénom houellebecquien, encore, c’est celui d’un des frères des Particules élémentaires), est un chat échaudé qui craint l’eau froide. Il se méfie (page 44) : « Le lendemain, ils devaient se revoir. Il était fataliste et elle lui en fit le reproche. Autrefois il montrait plus de caractère. Prudent, il avait maîtrisé sa nature ; de brouillon, il était devenu circonspect, au risque de déplaire à Florence. »
Les poèmes qui composent la deuxième partie sont tous assez courts (deux par pages, en général) et en vers libres. Ils chantent la passion, sans la dire, et c’est, tout de même, à mon avis, un inconvénient car cette partie est la plus longue.
Par exemple, page 84, Partage :
Seize heures ce mardi un temps finit
À l'étang emportée ta photographie
La peine infinie
Seize heures au lac ferveur
Mystère Questionnement
Au lac lumière aujourd'hui ombre sombre
recueillement
Seize heures au lac prière.
Enfin, le roman se conclut lentement par le journal de Bruno, après que Florence soit sortie de sa vie. La distanciation de la première partie n'est plus de mise, c'est l'heure des épanchements, parfois un peu trop. Le désespoir de Bruno est assez monotone sans qu'il soit exprimé de manière emphatique. Il s'adresse à Florence qui ne le lira pas et hésite sans cesse entre le laisser-aller sentimental et l'analyse froide de sa situation sans espoir. Il reste fidèle à son amante disparue, qui l'ignore sans qu'il sache pourquoi.
Par exemple, n° 55, page 183 :
« Après cent jours d'une promiscuité fugace où à nouveau nos regards ne se sont pas croisés. Réification de ma personne. Une telle attitude qui objectivement s'apparente à celle d'une salope ne traduit-elle pas plutôt un profond malaise ? »
C'est en tout cas un livre très personnel, inclassable, à la beauté difficile sans doute impossible à vendre au public, mais attachant et digne d'intérêt. Quand même, il y a trop de poèmes, pour moi - mais pour un autre public, sans doute pas.