HEAD ON
Le 5ème long-métrage du réalisateur turc-allemand Fatih Atkin
Our d’Or au Festival de Berlin.
Ce film rock’n’roll est une tragédie humaniste et aussi un magnifique et âpre film d’amour… pas du genre comédie à l’eau-de-rose… Fatih Atkin filme la passion dans toute sa violence. Avec du sang, de la sueur, des cris, des larmes.
Il jette un regard sans indulgence, mais si tendre, sur les cabossés de la vie.
Lui, c’est Cahit. La quarantaine, Turc né en Allemagne , revenu de tout, sans amis, sans amour. Un type à la dérive, qui essaie de surmonter le souvenir douloureux de sa femme disparue. Pour vivre il ramasse les bouteilles vides dans un night-club minable. Et pour survivre, il en boit d’autres, pleines. Beaucoup, beaucoup d’autres. La cocaïne et l’alcool endorment son mal de vivre…Lent suicide.
Elle, c’est Sibel ,une jeune fille de Hambourg prête à tout pour échapper à sa famille turque traditionaliste. Une drôle de fille qui aborde Cahit dans un hôpital psychiatrique où ils ont échoué tous les deux pour avoir voulu mourir. « Veux-tu m’épouser ? » lui demande-t-elle. Rebelle, elle aime trop la vie pour faire aux yeux de sa famille très religieuse et pratiquante une musulmane convenable. Seul le mariage peut la sauver.
Sans bien comprendre pourquoi ( pour la sauver peut-être, pour faire quelque chose de bien de sa vie…), Cahit se retrouve coiffé, rasé, chez ses futurs beaux-parents pour la demande en mariage... Cahit est Turc, donc acceptable pour les parents. Ils vont accepter.
Beau mariage traditionnel... Mais mariage blanc. Cahit continue à coucher avec une copine et à s’oublier dans l’alcool.. Sibel savoure sa nouvelle liberté en draguant des jeunes gens pour le plaisir. Pourtant, entre eux, sans qu’ils se l’avouent vraiment, naît un sentiment qui va les perdre pour mieux, finalement, les sauver.
Le film est servi par un duo de comédiens exceptionnels.
-Sibel Kekilli, actrice débutante hyperdouée(jusque-là elle était employée administrative dans un centre commercial de Cologne) qui donne sa force et sa vérité au film. Elle joue avec tant de fraîcheur et de justesse.
-Birol Unel, absolument formidable, magnétique. De film en film, l’acteur semble être devenu l’alter ego du cinéaste. Fatih Atkin dit de lui qu’il a le sentiment qu’il « glorifie l’autodestruction à l’instar de Kurt Cobain ou Jim Morrison ».
J’ai admiré, dans ce film que je ne suis pas prête d’oublier, à quel point Fatih Atkin parvient à mêler beaucoup de douceur au monde violent dans lequel vivent Sibel et Cahit.
L’Allemagne a eu du mal à se reconnaître dans ce miroir. Les échanges ont été difficiles avec certains journalistes lorsqu’en février dernier, le cinéaste a remporté l’Ours d’Or au Festival de Berlin. « Je suis né en Allemagne, mes enfants aussi, j’ai la double nationalité et je suis un cinéaste allemand. Derrière tout ça, il y avait une question implicite : est-ce que quelqu’un comme moi dénature la culture allemande ou en fait partie ? » Il s’agit pour Fatih Atkin de renouveler cette identité allemande en la mêlant à celle qui lui vient de ses parents, arrivés à Hambourg en 1966. Chocs culturels, contrastes, alliances
En plein débat sur la laïcité dans la société allemande, « Head On » a cristallisé les passions, au risque d’être victime de terribles récupérations. « La religion n’est pas en jeu dans mon film. Ce que le conflit entre Sibel et ses parents met en cause, c’est la culture turque machiste. Je montre que les parents sont victimes de leur propre attachement à une certaine tradition, tout en les filmant avec respect. »
La cérémonie de Lolas (les Cesars allemands) a pris une dimension symbolique. Le film a été couronné quatre fois. « Un pont entre l’Allemagne et la Turquie » s’est réjouit Fatih Atkin.