PREMIERE BONNE NOUVELLE
(Nouvelle de Babette)
Pourquoi souffrir ainsi ? C’était la question que se posait le journaliste et il y répondait ouvertement.
Babette avait commencé à lire l’article avec beaucoup d’attention et opi-nait de la tête en poursuivant sa lecture.
Elle lisait lentement, faisant aller ses lèvres au rythme d’un discours répé-té tout bas. Elle s’imprégnait du texte.
Oui, c’est certain se disait-elle, elle pouvait obtenir du soulagement en trois minutes. Bien sûr, elle n’avait pas de montre et personne ne lui en eut offert une, pourquoi faire ? Elle n’aurait jamais à courir d’un lieu à un autre comme tous ces gens qui partent le matin pour se rendre sur leur lieu de travail ou comme les voyageurs qui explorent les pays lointains.
On obtenait le soulagement en ajoutant à l’eau des saltrates Brondeel jus-qu’à ce qu’elle ait l’apparence du lait.
Babette pensait que la chimie désormais était présente en toutes choses, à chaque instant de la vie. Les hommes étaient merveilleux. Pas tous, évidemment, sinon elle ne serait pas ici à lire cet article. Mais elle lisait tout. Et l’image, en haut de la page avait attiré son regard. Après, elle examinerait le reste, textes et ima-ges en détail : la couverture chauffante, le classeur mécanique, les raphaëlistes à Rome, le tabac Sanglier et ce qu’on recevait gratuitement de la filature des Trois Suisses, au service 11 à Dottignies.
Babette reconduisit le fil de ses idées au rédactionnel et à l’illustration du coin supérieur gauche et acheva de lire qu’il suffisait de plonger dans ce bain les pieds douloureux. Cors amollis jusqu’en leur racine même, extirpés en entier avec leur racine, disparus à jamais.
Écorchures guéries, enflures réduites. Elle pouvait porter des chaussures d’une bonne pointure plus petite.
Les saltrates Brondeel sont vendus et garantis partout par les Pharma-ciens. Leur coût est insignifiant.
Le typographe, à moins que ce ne soit l’auteur, a écrit avec un P majuscule. Mais dans les pages de faits divers, où l’on explique les procès en cours, il n’en avait pas mis. Volontairement ou non l’esprit des hommes érige des barrages, des barrières, des conventions multiples qui ne sont pas simples à respecter, encore moins à comprendre.
Enfin, la page cinq, c’était une première bonne nouvelle depuis longtemps. Le pharmacien de Val-Benoît serait rayé de l’ordre, ne pourrait plus se tromper. Il devra trouver une autre occupation.
Une première bonne nouvelle.
Et le soleil est entré dans la chambre commune de l’hôpital. A la page onze, elle lut qu’un héros de 14-18 était décédé et que sa veuve vendait les cannes, à la page 17, il y avait une publicité pour des voiturettes pas trop chères.
Le docteur Hénoumont, un solide Ardennais, fit le tour, plaçant un mot, un geste qui coloriaient généralement le visage de ses patients d’un sourire.
En sortant de la salle, il appela l’infirmière.
- Pour la fille du vingt-et-un, vous ferez préparer tout demain. Il n’y a plus rien à faire d’autre, et elle le sait déjà. L’acide a tout détruit. Nous lui amputerons les deux pieds. Comment cela a-t-il pu arriver ?
Dans la cellule grise de la prison, André Deschaumes pensait qu’il était temps que des gens comme lui s’occupent de la morale publique.
Cette Babette qui montrait tout le temps ses chevilles, prétextant la des-cente d’un trottoir, le sortir d’une voiture, la marche de l’escalier, voilà une affaire terminée.
Maintenant, dans trois jours, quand il sortirait, il s’établirait négociant en sous-vêtements. Et il repérerait ainsi très vite toutes celles qu’il fallait remettre dans le droit chemin.