Le rêve de Spiderman
A ma Princesse(1)
L’émission d’ArdissonJ’ai vu une émission sur Internet qui m’a laissé quelque peu perplexe. Il s’agit du passage d’Eric Zemmour chez Ardisson, le 18 mars 2006, à l’occasion de la sortie de son livre
Le premier Sexe (2), ouvrage paraît-il à forte connotation machiste.
Zemmour chez Ardisson 1/2 Zemmour chez Ardisson 2/2Je ne sais pas si c’est vrai, je ne l’ai pas lu et, de toute façon, ce n’est pas le sujet. Le sujet est un commentaire de Francis Huster, qui était présent sur le plateau, et qui a lâché :
« Pour moi, un homme, c’est Bourvil. C’est pas Sean Connery. Pour moi, un homme, c’est Fabrice del Dongo.» Fabrice del Dongo, pour ceux qui comme moi ne le savaient pas, est un personnage de
La Chartreuse de Parme, de Stendhal. Mais revenons à Bourvil et, surtout, à Connery, qui sont ceux qui m’intéressent ici. Il y a lieu de supposer que lorsque Huster dit Connery, il pense James Bond, et quand il dit Bourvil, il pense à des personnages gentils, naïfs, un peu benêts(3), opposés à ceux de Louis de Funès. Par exemple dans
Le Corniaud.
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Sean Connery dans Jamais plus jamais (1983).
| La scène culte de Le Corniaud (1965).
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Une femme est une femme. Il n’y a pas de vraies femmes et des femmes qui ne le seraient qu’à moitié. En revanche, si on en croit le langage couramment pratiqué, il y a des hommes, des vrais, et des hommes qui, si on en croit toujours la langue populaire, ne le seraient pas vraiment (cf. Francis Huster un peu plus haut). Un homme, un vrai, est un homme qui plaît aux femmes(4), c’est un personnage viril. Huster nous dit que Bourvil – ses personnages gentils et benêts, pour être plus précis – sont des vrais hommes, alors qu’un personnage comme celui de James Bond, réputé séducteur et, donc, en principe, l’expression la plus achevée de la virilité, ne le serait en réalité pas tant que ça. Et peut-être même pas du tout. Étrange comparaison, à vrai dire, puisque Bourvil – ou les personnages auxquels on pense en invoquant son nom – est plus qu’autre chose un clown. Un clown au sens noble du terme, bien sûr, mais un clown quand même, car un clown n’est pas plus ou moins viril. Un clown est asexué. La preuve, dans
Le Corniaud, c’est de l’
asexuation même de Bourvil que l’on obtient de nombreux effets comiques.(5) Reste l’affirmation de Huster et la question qui en résulte : James Bond est-il viril ? Voilà, je crois, une question intéressante.
La positivité ambiguë de James BondJames Bond est, à mon sens, un type de personnage assez rare au cinéma. Il s’oppose à un autre type qui est, lui, extrêmement courant, extrêmement répandu ; très respecté, aussi, contrairement à 007. Ce dernier, vous ne le savez peut-être pas, était haï, méprisé aussi bien par son auteur, Ian Flemming, que par le premier réalisateur de la série, Terence Young. Dans
Meurs un autre jour (2002), même, le méchant, qui a changé d’identité, dit avoir pris Bond en exemple pour créer son personnage particulièrement fanfaron.
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Pierce Brosnan. | Roger Moore dans L’espion qui m’aimait (1977). |
007 est souvent décrit comme étant brutal, au ego surdimensionné(
« Prenez le suivant [d’ascenseur].
Il n’y a pas assez de place pour moi … et votre ego. » (7)) ; et, surtout, machiste et sexiste au dernier degré. De très nombreux héros, disais-je, donc, s’opposent à James Bond. Mais aucun de façon aussi forte, aussi pure, aussi parfaite que Spiderman.
Spiderman, créé et dessiné par Stan Lee en 1962. Rappelons l’histoire pour ceux qui ne connaîtraient pas : Peter Parker est un garçon timide, introverti, secrètement amoureux de Mary Jane, laquelle a pour Peter Parker de la sympathie, de l’amitié – au sens le plus frustrant du terme – mais certainement pas du désir. Pour ça, Mary Jane a à sa disposition des gens bien plus distrayants. Mais voilà que Peter Parker se fait mordre par une araignée radioactive (dans la BD et dans le film de 1977) ou OGM (dans le film de 2002 et les suites 2 et 3) et se transforme en homme-araignée, doté de super-pouvoirs, comme on dit. En bonus, il acquiert également le sens de la repartie.
Dans le cadre de ses super-activités, Peter Parker est amené à sauver à plusieurs reprises Mary Jane ; elle tombe amoureuse de son sauveur et s’en ouvre à Peter Parker, sans se douter, bien évidemment, que l’un et l’autre ne font qu’un. Au terme de multiples aventures, Mary Jane apprend la vérité et tombe amoureuse de Peter Parker aussi, si on peut exprimer la chose de cette façon.
Plusieurs remarques s’imposent :
a) Spiderman s’arrange toujours pour se retrouver en position de pouvoir dire
« C’est pas de ma faute ! » Ce n’est pas de sa faute s’il s’est fait mordre par une araignée radio-OGMisée, ce n’est pas de sa faute s’il y a des méchants qu’il se doit de combattre. Ce n’est pas de sa faute si par la maladresse du méchant, Mary Jane se retrouve perchée au-dessus du vide ou si les méchants la prennent pour cible, obligeant à chaque fois l’homme araignée à la sauver. Ce n’est pas de sa faute non plus si Mary Jane lui dégage la bouche pour l’embrasser … lui, il ne bougeait pas, il était là, cool, tranquille, la tête en bas, sans rien demander à personne.
La scène du baiser.
De façon générale, les épisodes 1 et 2 (désolé, je n’ai pas vu le 3) sont parcourus de considérations sur la responsabilité que Spiderman se doit d’assumer. On peut avancer, sans craindre de se tromper, que dans l’esprit de ses créateurs, ces histoires de responsabilité sont une allégorie du passage de l’adolescence à l’âge adulte, de l’insouciance du jeune aux obligations qui s’imposent avec la maturité. Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que le personnage de Peter Parker est prisonnier de son destin, qu’à aucun moment il n’impose aux évènement son désir, sa vision, sa volonté. Il ne fait que réagir à ce qui lui arrive. Parfois, ce que les évènements décident font les affaires de Peter Parker (par exemple lorsque sa chérie est à deux doigts de se faire violer, ce qui lui permet de la sauver), mais cela n’est jamais dû à sa volonté (il est bien clair qu’il n’a pas demandé à la racaille d’essayer de violer Mary Jane afin de pouvoir la sauver). Et tout cela n’est jamais plus vrai qu’en matière de séduction, puisque c’est là la chose importante. En effet, la question de plaire à ceux ou à celles qui nous plaisent est un problème universel rencontré par chacun ; la responsabilité d’avoir à se battre avec des super-méchants est un enjeu existentiel moins répandu parmi, comme on dit en espagnol, les piétons à pied.
b) Parlant des évènements qui font les affaires de Peter Parker il y a la bonne idée qu’ont les méchants de s’en prendre à son élue du cœur, Mary Jane, donnant ainsi à Spiderman l’occasion de la sauver et, par là, de la séduire. Sans cela, Peter Parker aurait été dans l’incapacité la plus totale de séduire la fille de l’histoire.
c) Pour Peter Parker il y a, d’un coté, Mary Jane ; la seule, l’unique, l’indépassable (faut avouer que Kirsten Dunst en seule, unique et indépassable, est tout à fait crédible). Et de l’autre coté les autres ; les greluches, la masse de femelles indignes d’intérêt.
Si l’on rapporte ces remarques au cas de James Bond, on fera les observations suivantes :
a) James Bond ne fait pas de discrimination ; toutes ont le droit de bénéficier de son charme : les petites et les grandes, les blondes, les brunes et les rousses, les blanches, les noires et les asiatiques, les gentilles, les méchantes et celles qui ne faisaient que passer.
D’ailleurs, dans
Jamais plus jamais (1983), la méchante, jouée par Barbara Carrera, qui s’apprête à le tuer, exige de lui une attestation signée comme quoi elle aura été le meilleur coup de James Bond.(7)
b) James Bond n’a pas besoin de sauver les filles pour coucher avec, ni d’ailleurs de faire preuve de talents particuliers si ce n’est celui de savoir-vivre et celui de savoir séduire une femme (séduire ; séduire et non pas harceler), ce qui veut dire : être viril. Ca tombe bien car l’expression « Art martial » n’a manifestement pas été inventé pour 007. Pas de frappes de Kung-Fu ou de Karaté élégants, pas de prises de judo ou de jiu-jitsu sophistiqués, pas de technique de combat ni de gestuelle esthétisante ; non, le poing dans la gueule suffit le plus souvent bien assez.
Et quand ce n’est pas le cas, notamment parce qu’il a à faire à plus fort que lui, il en est réduit à bricoler avec un accessoire quelconque. La débrouille, quoi. Par ailleurs, s’il doit s’y prendre avec des armes à feu, là encore, pas de prise de tête : il arrose sans complexe.
c) James Bond est espion parce qu’il a décidé de devenir espion. Il est inconcevable qu’il le soit devenu malgré lui. En outre, la volonté de 007 peut à l’occasion faire des dégâts ; et si son sens de l’initiative est apprécié en haut lieu après coup, il donne souvent des sueurs froides sur le moment. James Bond se voit rarement dicter sa conduite.
Le rêve de SpidermanIl est utile aussi de remarquer que le personnage de James Bond est assez prégnant pour les comédiens qui l’ont incarné, et qu’ils ont souvent, d’une façon ou d’une autre, cherché à s’en défaire. Roger Moore, par exemple, tient le rôle titre de
Les Loups de haute mer (1979, de Andrew McLaglen et également avec Anthony Perkins) où il joue un chef de commando britannique profondément misanthrope et misogyne. Il considère les femmes comme une sous-espèce et répugne en approcher une à moins de cinquante mètres (alors que Margaret Thatcher est premier ministre et que son personnage apparaît dans le film). L’anti-James Bond dans ce que 007 a de plus caractéristique.
Pierce Brosnan, dans le même esprit, tient le rôle titre d’un espion sous-doué dans
Le Tailleur de Panama (2001), de John Boorman. Dans ce film, son personnage donne rendez-vous à son contact (par qui la catastrophe va arriver) dans un hôtel de passes où, dans les chambres, on peut voir des films porno. C’est en visionnant l’un de ces films qu’il reçoit son contact. Question : imagine-t-on James Bond en train de regarder un film porno ? Évidement non. Imagine-t-on Peter Parker, le timide, celui qui n’ose pas parler aux filles, regarder des revues porno ? Bien évidemment que oui. Je parie même qu’il les cache sous son matelas. Et pour tout vous dire, à mon avis, ce qu’il aime, ce sont les blondes avec des gros nichons.
Des Spiderman, il y en a certainement beaucoup. Exactement pareils que Peter Parker. A cette différence près, toutefois, que ceux de la vie réelle ne sont pas dotés de super-pouvoirs – ni, accessoirement, de sens de la repartie –. Faute d’être en mesure de sauver leur seul, unique et indépassable amour, pour la simple bonne raison qu’elle n’a pas besoin d’être sauvée, ils la regardent de loin, retenant les soupirs, espérant qu’elles leur adresseront un jour la parole, qu’elles leur confieront quelque chose et qu’ils pourront ainsi leur proposer un petit quelque chose.
« Tu veux qu’on en parle ? » Modeste contribution au non-sauvetage de la chérie, l’horizon indépassable pourtant, de ce que
le rêve de Spiderman a à offrir à sa victime.
Des James Bond, il y en a certainement beaucoup aussi. Comme leurs cousins les spidermans, ils ne sont pas davantage détenteurs d’une licence double zéro les autorisant à dégommer qui bon leur semble, pas plus qu’ils ne seront des agents secrets Sa Majesté ou de qui que ce soit d’autre. Mais peu importe, puisque ce qui compte ce sont les filles. Et pour plaire aux filles, nul besoin de les sauver, de poursuivre les méchants ni d’éviter au monde sa destruction. Pour plaire aux filles, il faut les séduire.
Alors, question : qui, de Spiderman ou de James Bond, est l’homme, le vrai ? Qui des deux est misogyne, sexiste ? Lequel, des deux, est un exemple à suivre, et lequel est représentatif d’un malaise ?
1. Princesse est ma très chère et très tendre petite amie. Princesse est cinéphile, cinéphage et cinévore.
2. Chez Denoël.
3. Oui, n’oublions pas que Bourvil n’a pas fait que ça.
4. On ne parle ici que des relations hétérosexuelles. Les questions d’identité sexuelle chez les homosexuels doivent être différents, encore que le rôle de l’homophobie dans la construction de la virilité et de la masculinité ait vivement intéressé les anthropologues.
5. A plusieurs reprises, le personnage de Bourvil se retrouve avec des splendides créatures nordiques. De Funès, qui l’espionne, en raison de quelques malentendus savoureux, pense qu’il les séduit et couche avec elles ; ce qui le laisse, on le comprend, perplexe.
6. Réplique prononcée par Eva Green, dans
Casino Royale (2006)
7. Vous l’aurez compris, c’est là une erreur fatale de la part de la méchante.