« Mon père est ingénieur »
un film de Robert Guédiguian
avec : Ariane Ascaride, Jean Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Pascale Roberts, Jacques Boudet…
Drôle d’affiche…Drôle de titre…
L’intrigue :
Natacha (Ariane Ascaride) a perdu la parole et la conscience au monde. Un jour, son père l’a trouvée comme ça, inerte et muette . « Sidération psychique » ont dit les professeurs.
Soignée par ses parents (Pascale Roberts et Jacques Boudet), elle s’est retranchée en elle-même.
Alors Jérémie (Jean Pierre Darroussin), son amour de jeunesse qui ne s’est jamais tari, est revenu auprès d’elle. Ils avaient été amants au cours de leurs années d’études de Médecine. Mais elle avait choisi de rester à Marseille, de s’installer dans le quartier déshérité où elle avait grandi. Et lui s’était lancé dans une carrière mondialisée, médiatisée, obtenant des responsabilités auprès du Ministre de la Santé.
Jérémie va rester pour mener son enquête et découvrir ce qui est arrivé à Natacha. Il va dès lors rencontrer les personnes qu’elle côtoyait. Il découvre peu à peu sa vie quotidienne, ses voisins, ses patients, et les parents de ses patients puisqu’elle est pédiatre. Il prend la mesure de l’implication de Natacha dans la vie de la cité, de son engagement. Natacha menait la lutte contre les expulsions…
Un des voisins, Monsieur Vadino, (Gérard Meylan) ne veut pas que sa fille fréquente un petit kabyle. Il va jusqu’à battre celle-ci alors qu’elle est enceinte. Monsieur Vadino est raciste. Il l’est parce qu’il ne sait pas, lui, le fils d’immigré italien, comment faire autrement pour conserver la seule chose qu’il possède : « Etre Français ».Pourtant cet homme participait aux luttes de la cité contre les expropriations…
Ce film pose la question du « vivre ensemble ». Il ouvre des voies de réflexion face à la dislocation des liens sociaux, des solidarités, au repli sur soi.
En choisissant Gérard Meylan (compagnon de cinéma et d’amitié des premiers temps) pour jouer le personnage de Monsieur Vadino, Guédiguian ne laisse aucune ambiguïté sur le fait que cet homme-là est bien un des nôtres. L’adversaire n’est pas un ennemi, il vit avec nous, il souffre à nos côtés. Comment faire avec lui ? Comment renouer ?
Dans « Mon père est ingénieur »Guédiguian revient sur les thèmes récurrents qui parcourent tous ses films Mais celui-ci a une grande portée autobiographique.. Son père lui a transmis le virus communiste. Sa mère était catholique. Guédiguian a hérité de leurs valeurs respectives.
« Depuis « Dernier été », dit-il, je fais la chronique d’un monde qui disparaît. En parlant de comment ça s’arrête, moi je continue. La volonté de continuer, c’est la volonté d’être, malgré la disparition des choses qui nous ont fondés. Dans « Mon père est ingénieur », j’ai réussi à reprendre tous les grands motifs de ma propre biographie et à les remettre en forme, au double sens du terme : dans une nouvelle façon et en bonne santé… .
Cependant tout porte à croire que ce film-là, le douzième de son réalisateur, marque une étape importante, ou présage même d’un tournant dans son parcours. On sait que le prochain est d’une toute autre nature. (« Le promeneur du Champ de Mars » adapté du livre de Georges Benamou sur les derniers mois de Mitterrand, avec Michel Bouquet dans le rôle-titre)
Ici, la mise en scène n’est plus exclusivement dirigée vers le naturalisme et la transparence du récit. Le croisement de trois histoires brouille la linéarité habituelle du réalisateur.
Il mélange un récit réaliste et un conte (sous forme d’une pastorale) Il mêle les différents temps de la vie des personnages .
« J’ai voulu interroger les points communs entre militantisme et chrétienté : s’offrir aux autres, faire don de son corps, jusqu’au sacrifice…Pour moi, l’histoire de la naissance de Jésus est une fiction puisque je suis athée. Mais je la trouve extraordinaire. Ce moment de trêve, de réconciliation absolue. C’est une utopie totale ! J’avais envie de faire ma petite crèche à moi… (Dans « La Pastorale des Santons de Provence » la Nuit de Noël, toute la population est réunie, les exclus sont là aussi.)
Ce film est plus sombre que les précédents, plus pessimiste. Les lendemains meilleurs n’ont pas chanté. La mélancolie obscurcit le ciel marseillais. C’est la chronique du désenchantement politique. L’utopie a fait place à la désillusion.
« Il m’est arrivé un accident vasculaire dit Guédiguian…Un truc étrange, très angoissant, heureusement sans séquelles. Je n’arrivais plus du tout à parler. Coïncidence bizarre : c’était juste au moment de la dernière élection présidentielle…Mon toubib m’a alors parlé de certains cas de sidération, de catatonie. J’ai eu envie d’écrire un film sur quelqu’un de physiquement atteint par l’échec de son militantisme et par la vanité du monde. »
« A la réunion hebdomadaire du Parti, je me retrouvais avec des gens de tous horizons…Etre physiquement avec les autres, parler, agir, bouger ensemble, ça me manque. Ce que je regrette, c’est l’assemblée. C’est la crèche… »
Le film se termine tout de même sur une note d’espoir. Tout au long de leur histoire Natacha et Jérémie se demandent à chaque étape: On arrête ou on continue ? »…La dernière réplique du film, c’est « On continue »…
Le mystère de l’affiche a dû s’éclairer…
Il reste à élucider ce titre : « Mon père est ingénieur »…
Natacha et Jérémie avaient appris le russe ensemble. Cette phrase, tirée de leur guide de langue, ils avaient du mal à la prononcer…Elle est devenue symbole de leurs espoirs déçus.