« LE GRAND VOYAGE »
un film d’ Ismaël Ferroukhi (Film français, marocain )
Avec Nicolas Cazalé, Mohamed Majd, Jacky Nercessian
Aller en pèlerinage à La Mecque , dans un break rafistolé , depuis Aix-en Provence, c'est un véritable exploit…de 5000 km. C’est pourtant ce que vont entreprendre Reda et son père.
Le pèlerinage est un cheminement, un acte de foi pour le père .Pour le vieil homme, le voyage ne peut se faire qu’en voiture, car il est essentiel de ressentir physiquement, et dans la durée, les difficultés liées au périple pour permettre l’aboutissement de sa foi.
Pour Reda, qui est contraint de conduire son père en voiture jusqu’à la Mecque, ce pèlerinage est une contrainte écrasante : finis le lycée, le bac et la petite amie Lisa. Insensible à l’Islam, il n’a aucune envie d’aller à La Mecque, surtout dans de telles conditions : un voyage austère, sans téléphone portable, fait de nuits dans la voiture, de prières et de sandwichs aux œufs … Les deux hommes ne sont pas " sur la même longueur d'ondes "comme le dit Reda à son père . Le premier est déjà intégré, le second, bien qu'en France depuis trente ans, ne sait ni lire ni écrire le français et s'exprime surtout en arabe.
Mais la volonté du père fait loi. Et dès le départ, le voyage s’annonce difficile…
Plus que vers le road-movie, c’est vers le huit clos que s’oriente le film .Les premiers jours, les deux hommes sont enfermés dans leur silence, le père avec ses prières, le fils avec sa rancoeur . Réda veut vivre ce voyage comme il lui plait, tandis que son père entend bien être respecté et ne pas s’écarter du sens de son pèlerinage.
Mais au fil des kilomètres, après tant d’heures passées ensemble, les imprévus du voyage vont rapprocher père et fils, malgré les heurts dûs à leurs convictions et leurs choix de vie. Les deux hommes vont passer d'un rapport marqué par l'indifférence et l'hostilité à la reconnaissance de l'autre
Ismaël Ferroukhi a su montrer cette évolution intérieure, parfaitement rendue par l'interprétation juste et touchante des deux acteurs dans ce huis-clos qu'est la voiture. "Réda et son père appartiennent à une culture où le dialogue entre père et fils est difficile, voire impossible dit Ismaël Ferroukhi. Le fossé qui les sépare (génération, culture, langue...) se creuse davantage par leur statut d'"exilés" en France. J'ai fait ce film pour permettre cette rencontre que le voyage et la promiscuité vont rendre inévitable (...) Ils se débarrassent de leur statut de père et de fils et se rapprochent au fur et à mesure de l'évolution du voyage (...) Le Grand voyage nous montre comment Réda et son père passent d'un rapport marqué par l'indifférence et l'hostilité à la reconnaissance de l'autre et à la réconciliation. Il faut comprendre et accepter ses parents -là d'où on vient- pour s'accepter soi-même »
La camera n'oublie pas non plus de saisir les paysages traversés : prairie … neige… sable. Des paysages somptueux, prétexte à des rencontres qui ramènent à la question des origines, des langues, des cultures et de l'ouverture à l'autre. Père et fils vont traverser l’Italie, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Bulgarie, puis les pays islamiques, la Turquie (avec une pause à Istanbul), le sublime désert syrien, la Jordanie, et enfin l’Arabie Saoudite.
Le plus impressionnant restera cette vision de La Mecque envahie par cette foule immense de pèlerins, vision que l'on n'avait encore jamais eue dans un film de fiction. Ismaël Ferroukhi aura été le premier cinéaste à se voir accorder le privilège de tourner sur le lieu saint de l’Islam .
Pour son premier film en tant que réalisateur, l'ex-scénariste de Cédric Kahn s’est vu attribuer « le Lion du Futur », Prix de la meilleure première oeuvre, au Festival de Venise 2004.
C'est un souvenir personnel du cinéaste qui est à l'origine du Grand voyage : "Cela fait une dizaine d'années que j'ai ce projet en tête", explique Ferroukhi . "Il se trouve que, quand j'étais gamin, mon père a fait ce voyage en voiture et que ce périple un peu fou m'a fait fantasmer. Je me suis dit qu'un jour il faudrait que je raconte cette aventure insensée »
Faire en France et en 2004, un film sur l'Islam et le pèlerinage à La Mecque est assez courageux. Comment ne pas se faire taxer de prosélytisme, ou encore de transmettre une image caricaturale de la communauté musulmane ?.... Mais le propos d'Ismaël Ferroukhi s’est concentré sur l'évolution du rapport entre un père et un fils, étrangers l'un à l'autre et enfermés dans une voiture entre le sud de la France et l'Arabie saoudite. Usant d'une grande économie de moyens, Ismaël Ferroukhi fait avancer son récit à coups d'émotions mesurées C’est un beau périple au pays de la tolérance, de l'ouverture et de l'échange.