« Les mots vous lâchent, il est des moments où même eux vous lâchent » a écrit Samuel Becket.Et pourtant…
Pourtant tous les personnages de Beckett se définissent essentiellement par la parole,jusqu'à l'épuisement, jusqu'au dernier souffle. Ces voix n'ont rien à dire, et pourtant elles le disent, et du fait qu’elles n’ont rien à dire, elles ne semblent jamais épuiser un sujet qui, s'il a existé, s'est épuisé dès le début. La voix pourrait se taire, laisser place au silence mais ce serait abandonner avant d’avoir tenté d’épuiser toutes les issues.
Alors son histoire, c'est Molloy qui nous la raconte. Avec ses hésitations et le flou propre au regard qu’on porte sur soi. Un peu de la folie et de l'ironie propres à Beckett aussi.
Nous cheminons aux côtés de ce presque vagabond, au gré des méandres de son esprit aussi tortueux que son langage. Molloy erre à la recherche de quelque chose, sa mère peut-être, (mais il l’a déjà atteinte lorsque le livre commence ! “Je suis dans la chambre de ma mère. C’est moi qui y vis maintenant.”)
C’est en quête de lui-même qu’est parti Molloy en fait…Et cette quête est jalonnée d'aventures absurdes, grotesques, triviales. Jamais gratuites.
“Quand j'ai écrit la première phrase de Molloy, je ne savais pas où j'allais a dit Beckett.. Et quand j'ai achevé la première partie, j'ignorais comment j'allais continuer. Tout est venu comme ça. Sans rature. je n'avais rien préparé. Rien élaboré. »
Molloy est borgne, sale, il lui manque des dents, une jambe, il est en permanence gêné par sa vessie, il se traîne sur ses béquilles. Il n'a pas de mémoire et doit sans cesse chercher, inventer, s'inventer, parler, alors que, parfois, il ne sait même plus son nom. Il n'a qu'une idée vague de sa propre identité et de sa situation.
Sur «une route d'une nudité frappante» commence l'errance qui constitue la trame de ce monologue, émaillé de «peut-être», «je ne sais pas» et «je crois».
On n’apprend son nom, Molloy, que lorsqu'il se le rappelle soudain à la trente-deuxième page, alors que son attitude étant suspecte, il est interrogé par la police. Il passe la nuit suivante dans un fossé humide : «je dis cette nuit, mais il y en eut plusieurs peut-être. Trahissons, trahissons. La traître pensée.»
Le récit, composé d'un seul paragraphe, est constitué des souvenirs très lacunaires du narrateur,
Difficile d'entrer dans ce roman tant l'écriture surprend :elle est "d'une seule traite" et bouscule la syntaxe.
Pourtant quels délices à vaincre cette difficulté première. Une fois accoutumé, Molloy ne nous quitte plus tant est obsédant le style et truculente la verve du personnage .
“Molloy (publié en 1951) est divisé en deux parties de longueur sensiblement égale, écrits à la première personne par deux narrateurs distincts.
Si Molloy cherche sa mère, Moran cherche Molloy. Une histoire en parallèle où la recherche se transforme là encore en errance.
Le second narrateur, Jacques Moran, est un «agent» dont l'existence paisible, qu'il mène entre son fils adolescent, sa gouvernante et ses poules, est perturbée par un messager porteur d'un ordre de mission donné par un certain Youdi. Sa mission, partir à la recherche de Molloy, prend la forme d'une succession d'épreuves pour cet homme à l'esprit étroit et méthodique qui perd peu à peu son assurance. Il est soudain atteint d’une douleur aux genoux, et souffre, comme Molloy, auquel il s’identifie, d’une difficulté grandissante à se déplacer, mais aussi par divers tourments.
C’est le livre de la solitude, du vagabondage d'un être presque privé de vie, dont le corps n’a qu’une dérisoire réalité.
Dans « Watt »apparaissait pour la première fois la figure du « clochard » qui parcourra toute l’œuvre de Becket. A travers lui, il explore la condition humaine, c’est à dire, la déchéance humaine, l’exil, et l’importance de la langue par rapport à l’existence.
Molloy reste un livre majeur dans l'oeuvre Samuel Beckett.