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| Büscher : Berlin-Moscou, un voyage à pied | |
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Fulmi Prolixe infatigable
Nombre de messages : 5214 Age : 70 Date d'inscription : 16/10/2004
| Sujet: Büscher : Berlin-Moscou, un voyage à pied Jeu 23 Juin - 0:57 | |
| Wolfgang Büscher Berlin-Moscou, un voyage à pied. L'Esprit des péninsules, 2005.
Article dans Libération, ce matin :
Littérature étrangère L'épopée russe pix Wolfgang Büscher parcourt à pied l'immensité de l'ex-Empire soviétique. Il exhume, chemin faisant, l'héritage impossible de «la grande fosse à histoires».
Par Philippe LANÇON
jeudi 23 juin 2005 (Liberation - 06:00) pix Wolfgang Büscher Berlin-Moscou, un voyage à pied Traduit de l'allemand par Cécile Wajsbrot. L'Esprit des péninsules, 286 pp., 20 €.
À sa sortie de l'infirmerie du camp de Buna-Monowitz, en février 1945, Primo Levi rencontre dans le train un Grec de Salonique. Le train tombe en panne. Il gèle à mort. Les deux rescapés décident de marcher. Au pays des survivants, une odyssée commence. Ils vont vers l'Est. Le Grec voit que les chaussures de son compagnon sont en pièces. Il lui dit avec mépris : «Celui qui n'a pas de chaussures est un sot.»
En 2001, celles de l'Allemand Wolfgang Büscher semblent solides. Il a 50 ans. Il parle russe. Son sac à dos est trop plein, évidemment ; mais il le vide dès la première étape. Deux chemises, deux paires de chaussettes, un pull-over, des chèques, un livre de Tchouang-Tseu, une polaire, et en route pour l'Est. On est toujours trop lourd quand on s'en va.
Il quitte Berlin à pied un chaud matin de juin. L'objectif, c'est Moscou. Il parvient dans la capitale russe trois mois plus tard, au début de l'hiver (l'automne, en Russie, dure un déjeuner de printemps). Son visage est tanné. Il a maigri. C'est un vagabond à qui les mètres servent de «rosaire». Il embrasse le panneau Moscou en criant sous la pluie, le long de la route bordée d'immeubles et de grandes surfaces. Entre-temps, il a traversé la Pologne, la Biélorussie et la partie ouest de l' «immensité russe». Des forêts, des champs, des marais, des routes droites et sans fin. Des villages pauvres, aussi. Et de petites villes atroces, où il faut chercher l'hôtel, le bar, le restaurant. Il est passé par Katyn, entre dans le périmètre interdit autour de Tchernobyl : fortes pages où l'histoire, la géographie, le corps et l'esprit du voyageur forgent le récit.
Cette lente plongée dans l'Est révèle une tristesse exponentielle, une souffrance partout tapie sous la nature prépondérante, comme nichée en elle... et cependant, et surtout, quelque chose d'infiniment attachant quelque chose qui rappelle ces vers d'Essenine sur la Russie : «Loin du malheur des humains,/ Je dors dans un arbrisseau./ Je prie l'aube rougissante,/ Je communie au ruisseau.» Un slogan publicitaire lu par Büscher sur un sac en plastique à vendre, le résume peut-être : «Beauty is a dramatic power.»
Sur la route, Büscher mange du chocolat ou des côtelettes, boit de la bière ou de l'eau. Des odeurs d'incendie l'accueillent ou poursuivent sans cesse. Pourquoi marcher vers l'Est, quand on est Allemand ? Il ne cesse de se le demander. Nicolas Bouvier, Bruce Chatwin (1) et bien d'autres l'ont noté : le voyageur se demande toujours ce qu'il fait là. La question l'oblige à regarder autour de lui, en lui, à comprendre le regard qu'il porte sur tout ce qui n'est pas lui.
Mais d'abord, l'Est, où ça commence ? Les réactions des habitants le renseignent vite : l'Est, c'est le honteux pays qui débute toujours plus loin à la ville, à la région, à la frontière suivante. «L'Est était ce dont personne ne voulait. Ce qu'on ôtait de sa veste d'une chiquenaude, comme une fiente d'oiseaux. La veste de l'Est, on en faisait volontiers cadeau, on la faisait toujours passer plus à l'Est (...) Où commence l'Est ? A droite de ton pied droit.»
L'Est, c'est aussi la grande «fosse à histoires, une exploitation du tragique, ce matériau profondément enfoui sous l'herbe est réellement brut, non travaillé, non poli». Büscher a déjà dansé avec l'histoire du siècle passé dans plusieurs récits mélangeant mémoire et fiction (2). Chemin faisant, au hasard des rencontres, il continue d'exhumer ce matériau lié à la Seconde Guerre mondiale. Survivre aux nazis et aux Soviétiques demeure un héritage impossible. Chaque histoire rencontrée par Büscher (vies brisées, amours plus forts que la guerre, courage et lâcheté dignes de l'Iliade) mériterait un roman. Mais le roman signifierait l'arrêt. Le voyageur passe, et son livre avec.
Le coeur du voyage est «le pays blanc», la Biélorussie, cette Russie du très pauvre. Ici, la beauté est vraiment un pouvoir dramatique. Le dictateur Loukatchenko y est pour quelque chose. Mais il n'est qu'un mal supplémentaire. La cause, c'est l'Histoire. Les Biélorusses ont eu la «barbarie soviétique», puis «l'enfer des SS», puis «ils revinrent chez les Soviétiques et reçurent Tchernobyl en partage. Ils recueillaient toujours le pire et surtout, en temps de guerre ou en temps de paix, ne connaissaient de l'Histoire que ce cruel croupier leur distribuant le malheur dans un mauvais jeu» : c'est un peuple fatigué. Büscher en arrive à cette conclusion après avoir quitté un village où nul n'a voulu l'héberger pour la nuit. Il s'est énervé, puis il a compris. Rien, chez ces villageois muets, n'aurait permis de les rendre avec cet inconnu plus généreux que leur destin.
En Biélorussie, tout ralentit, s'alourdit, et cette lenteur lourde mène, comme la souffrance, au bout de ce qui reste de soi-même. Büscher comprend ce qu'est la province russe : un tunnel imbibé de mauvais alcool où «nulle part la vie russe n'est plus russe». C'est alors que l'Histoire contemporaine le rejoint, juste avant la frontière russe, le 11 septembre 2001. La ville s'appelle Vitebsk. La puissante odeur d'incendie le pousse vers une cafétéria déserte. Une télévision est allumée. Il voit une tour en flammes, un avion qui rentre dedans et ne ressort pas. «Encore un incendie», se dit-il. Mais, peu à peu, il pressent «que les avions n'avaient pas pris feu par hasard». L'événement se révèle à lui ; le monde le rattrape : «Mes pieds pouvaient faire ce qu'ils voulaient, mes yeux étaient un million de fois plus rapides, ils avaient la télécommande.»
Le voyage s'achève par une visite à Peredelkino, le village où mourut Pasternak, à 47 kilomètres de Moscou. Büscher y loge au foyer. Anna Akhmatova et Marina Tsvetaïeva, «ce colibri russe tenace et miséreux qui avait tournoyé dans toute l'Europe, sans abri», ont vécu là. La femme qui tient le foyer se désole : les nouveaux clients, qui viennent passer le week-end, ne connaissent même pas le nom de ces grands poètes. Après avoir atteint Moscou, Büscher prend une chambre de luxe, un long bain, dîne avec des amis. Ensuite, il retourne en voiture à Peredelkino. Sa guide lui demande et c'est la dernière phrase du livre : «Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?» On écrit.
(1) «Les Cahiers rouges» (Grasset) publient en un tome ses «OEuvres complètes». (2) «Allemagne, trois années zéro» (L'esprit des Péninsules, 2000). | |
| | | Fulmi Prolixe infatigable
Nombre de messages : 5214 Age : 70 Date d'inscription : 16/10/2004
| Sujet: Büscher : Berlin-Moscou, un voyage à pied Sam 25 Juin - 16:24 | |
| Wolfgang Büscher. Berlin-Moscou, un voyage à pied. L'Esprit des péninsules, 2005.
En 2001, un journaliste allemand marche le long de la « route des Allemands », de Berlin à Moscou, à travers la Pologne, la Biélorussie et la Russie. Dit comme cela, c'est l'annonce d'une fabuleuse monotonie de récit, la route étant à peu près en ligne droite et parfaitement plane.
Seulement, voilà, c'est à la fois une traversée interminable de champs de bataille qui, du point de vue allemand, ne sont pas à l'honneur de la nation et, d'un point de vue contemporain, c'est l'avenir de l'Europe qui se joue le long de cette route. Les trois pays traversés sont passionnants par leur histoire et leur différence : la Pologne est entrée dans l'Union européenne après un demi-siècle de communisme, la Biélorussie est toujours un pays communiste de type soviétique, le dernier d'Europe, et la Russie est, éternellement, ce monstre incompréhensible qui se développe depuis quinze ans de façon parfaitement anarchique. Büscher marche le long de la route de l'est. Il observe, décrit, s'arrête à l'occasion pour écouter les gens, et quitte lentement le monde moderne pour rallier un État hors du temps et de l'histoire : le Bélarus. Là, tout bascule. Il s'approvisionne à l'Univermag, magasin d'État à vendre tout, mais rien en fait, dort dans des hôtels déserts et en ruine, traverse la région que les Allemands ont totalement dévastée à partir de 1943, et le souvenir en est brûlant, il visite la zone interdite de Tchernobyl, admire le réacteur accidenté, mange des champignons délicieux et contaminés, boit l'eau salée de l'est et apprend à survivre dans le pays le plus absurde du monde. Un jour, le onze septembre, il voit à la télévision biélorusse l'attentat de New-York.
Puis c'est la Russie et ses mythes vivaces, la forêt de Boris Gleb dont les arbres saignent du sang, le village de Gagarine qui vit dans le souvenir du premier cosmonaute, la passion de la vodka et les mercédès des nouveaux riches. il rend une visite posthume à Pasternak, erre dans les banlieues soviétiques interminables et, finalement, atteint Moscou, le Kremlin et la place Rouge à la première neige…
C'est drôlement bien traduit, en plus, on ne croirait pas de la prose journalistique. | |
| | | Anti Phrasophile averti(e)
Nombre de messages : 1439 Localisation : sur l'enterprise Date d'inscription : 20/10/2004
| Sujet: Re: Büscher : Berlin-Moscou, un voyage à pied Mer 24 Aoû - 16:41 | |
| - Fulmi a écrit:
- Wolfgang Büscher. Berlin-Moscou, un voyage à pied. L'Esprit des péninsules, 2005.
Une belle critique de madness http://samizdjazz.blogs.com/ : Berlin-Moscou, un voyage à pied Où commence l'Est ? Et qu'est-ce exactement l'Est ? C'est animé par cette double question que Wolfgang Büscher, éditorialiste au grand quotidien conservateur hambourgeois Die Welt, a parcouru à pied les trois mille kilomètres qui séparent Berlin de Moscou en 2001. Il en est revenu (en avion) avec ce récit, aujourd'hui traduit et publié par l'Esprit des Péninsules. Vu de Berlin, l'Est semble commencer au-delà de l'Oder, en Pologne. Pourtant, il y a vingt ans déjà, Kundera parlait d'un Occident kidnappé, et la marche vers l'intégration européenne a fortement occidentalisé la Pologne. En traversant le pays, et en discutant avec ses habitants, il lui apparaît peu à peu que la frontière entre l'Ouest et l'Est est mouvante. En Pologne occidentale, l'Est semble commencer quelque part un peu après Varsovie. Puis, en s'approchant de cette frontière, il ne fait que la repousser, vers la Biélorussie et l'immensité russe. Même au sein de la surréaliste Biélorussie, il semble y avoir une tension Est-Ouest. Tout n'y est donc pas tout à fait figé. "Où commence l'Est ? A droite de ton pied droit"... Cette traversée de l'Autre Europe, ne se résume cependant pas à ce questionnement politico-géographique. Effectuée par un Allemand, elle résonne de manière appuyée avec une histoire tourmentée, où les champs de bataille et les cimetières surgissent aussi nombreux que les petites localités perdues au milieu de la grande plaine qui couvre le Nord du continent. Au cours de sa Drang nach Osten personnelle, Büscher traverse ainsi autant l'espace que le temps. Les souvenirs de la guerre hantent son passage en Pologne. La Biélorussie est le lieu d'un improbable retour vers le futur. Mais sans futur. Comme si le pays avait conservé la grisaille totalitaire en laissant de côté l'avenir radieux qui la justifiait. La traversée du dernier régime soviétique encore debout en Europe est le passage de loin le plus intéressant du livre. Le temps semble s'y être arrêté il y a des décénies de cela. Un tel reportage, presque "touristique" par moment, en tout cas plus descriptif qu'explicatif, est vraiment précieux. Il permet d'appréhender un peu mieux la réalité de ce pays complètement fermé (je reviendrai sans doute dans une prochaine note de la section politique sur le récent activisme diplomatique polonais en Biélorussie). La visite de la zone irradiée par l'explosion de Tchernobyl (dans le Nord de l'Ukraine, près de la frontière) apparaît ainsi comme la meilleure métaphore pour décrire l'état de ce pays après l'explosion du rêve communiste. A côté de cela, la traversée de la Russie où tout semble aujourd'hui possible, où les extrêmes les plus invraissemblables cohabitent, est presque une partie de plaisir. Ce passionnant récit - en rien monotone malgré les trois mille kilomètres parcourus en ligne droite - fait écho à un autre récit de voyage au coeur de l'Autre Europe, paru l'année dernière aux éditions Autrement : Lisières d'Europe, par les journalistes français Guy-Pierre Chomette (textes) et Frédéric Sauterau (photos). Si Büscher a suivi un axe Ouest-Est, les deux Français ont eux longé la frontière orientale de l'UE-27 du Sud au Nord, c'est à dire de la frontière greco-turque jusqu'à celle qui sépare la Finlande de la Russie. Le principe est un peu le même, à savoir la rencontre des habitants de ces zones frontières pour mieux comprendre, à travers leur quotidien et leurs petites histoires, la grande histoire et les enjeux politiques du moment. Plus explicatif (on apprend des tas de trucs !) que le récit de Büscher (qui est lui écrit dans un style plus personnel et plus littéraire), ce livre est un passionnant document pour saisir une partie des enjeux de l'élargissement de l'Union européenne, au-delà des statistiques et des discours politiques, en allant à la rencontre des habitants directement concernés. Dans les deux cas, ce sont des livres comme je les aime, qui mèlent récit personnel et essai de manière très convaincante. Vivement conseillés. Wolfgang Büscher : Berlin-Moscou, un voyage à pied, traduit de l'allemand par Cécile Wajsbrot, L'Esprit des Péninsules, 2005 Guy-Pierre Chomette & Frédéric Sauterau : Lisières d'Europe, Editions Autrement, 2004 DR Admirable ce garçon, as usual. | |
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