Un jour, au début des années 90, je reçois par la poste une lettre d'amour d'une certaine Virginie. Une lettre postée du quatorzième arrondissement, écrite au bic bleu sur du papier d'écolière, avec des ronds sur les "i" comme en font les jeunes filles à l'âge où elles rêvent de se les faire remplir. (...) [l'auteur explique c'est à la suite d'un passage dans une émission de télé] (...) Je n'ai pas répondu.
J'avais même oublié lorsque, une année après, je reçois, toujours par la poste, un roman dédicacé d'une certaine Virginie, la même, moins les ronds sur les "i", mais cette fois avec un nom propre : Despentes. Un roman au titre explicite : Baise-moi ! où l'ex-lycéenne qui, visiblement, n'habitait plus chez sa mère, s'était inventé un passé sulfureux : violence, drogue, parfum de prostitution... avec en prime, juste pour bibi, son numéro de téléphone écrit à l'intérieur.
Une pro du pipe-show ? Ni une ni deux, cette fois je prends mon téléphone et lui file rencart au café juste en face de chez moi, des fois que... (...)
Arrivé en retard, exprès, histoire de maintenir la hiérarchie (c'est elle-même qui le demandait), je tombe sur une grosse vache assise en terrasse avec deux yeux globuleux et une dent jaune cassée sur le devant. Toujours poli avec les dames, en me penchant plus près pour lui faire la bise, je découvre - chose rare de nos jours chez les jeunes filles - qu'elle a en plus deux-trois poils au menton. Vous voulez le fond de ma pensée ? J'ai connu une Virginie qui travaillait dans un peep-show en haut de la rue Saint-Denis, avant qu'ils ne la mettent piétonne et ne la changent de sens pour tuer le métier. (...) L'autre Virginie, là, montreuse dans un sex-shop ? Jamais ! Même au fond du 93. Les gérants de ce genre de commerce ne travaillent pas pour les bonnes œuvres.
Comme vous l'avez compris, le sexe s'avérant impossible, je me retrouve donc à parler livre. Du sien, bien sûr, qui vient de sortir, et comme il m'est tombé des mains mais que je ne peux pas le lui dire (toujours galant avec les dames), pour ne pas décourager une débutante qui n'a aucun avenir dans la peep-show, ni a fortiori comme chanteuse, actrice ou animatrice télé, j'entreprends de lui expliquer, en une vaste périphrase, pourquoi en 1990, le sexe ne peut plus être considéré comme subversif.
Elle a parfaitement compris. Elle n'est pas si bête, la Despentes, mais comme à l'époque elle préparait Baise-moi ! le film, qu'elle s'apprêtait à passer sérieusement à la caisse en jouant les rebelles fémino-trash, à sympathie Jack Lang avec manifs et pétitions à Saint-Germain-des-Prés, elle s'est vite dépêchée d'oublier et la Virginie sur la mauvaise pente, je n'en ai plus jamais entendu parler.
Alain Soral. Misère du désir. Éditions Blanche. 2004.