"Post Mortem, lettre à un père fasciste" (Phébus 2003)
« Un homme parvenu au mitan de sa vie enterre son père qui fut, dans la Suisse des années 30 et 40, un nazi notoire- et qui le restera jusqu’à sa mort. » dit le dos du livre.
Carlos Bauverd est sociologue et écrivain, engagé depuis 20 ans dans l’action humanitaire. Le récit autobiographique de 150 pages est un réquisitoire ; dans les années 70 le mouvement appelé " Väterliteratur " vit des fils écrivains demander à leurs pères des comptes sur leurs attitudes et leurs engagements durant la période national-socialiste. Post Mortem, plus tardif donc, s’intègre dans cette lignée. Personnellement je me suis ennuyée pendant 80 pages jusqu’à temps que je sente ce qu’il y avait de déchirant, de complètement paradoxal dans les élans d’amour et le rejet total de ce père, objet de honte. On ne se situe pas forcément ici dans le champ de l’analyse et de l’interrogation ni dans la perspective historique spécialement. Bauverd évoque l’enfance et cette sorte d’autisme dans lequel l’attachement idéologique du père l’a maintenu pendant des années. Ce père né en Suisse, fils de pasteur, élevé dans « la dure religion de Calvin » intellectuel a embrassé très tôt le nazisme et a été l’une des figures importantes aux côtés d’Himmler : chaque jour, sur les ondes de la radio allemande, il véhicule la propagande du Reich. En 1945, après la capitulation, il se réfugie dans l’Espagne franquiste, y épouse une jeune femme, fidèle au Caudillo. Un enfant naît en 1953. En 1960, par le jeu d’une prescription, le père avec sa famille regagnent la Suisse.
La désespérance de Bauverd et probablement la nôtre quand nous y adhérons vient du fait que le père n’a jamais renié son attachement aux valeurs fascistes. Jamais un regret exprimé même en mourant. Par opposition et nécessité de révoquer la douloureuse filiation, le fils se voue à l’humanitaire quand le père soutient l’idéologie du Jihad . Mais c’est avec une lucidité imparable que le fils explicite l’attachement à ces choix- l’impérieuse nécessité de faire la guerre, d’assurer sa suprématie, la vénération de l’art militaire, le rattachement et la reconnaissance du chef, en bref la dictature :
« J’ai un peu menti en te décrivant comme seulement attaché au issues politiques du monde arabe. En fait, non, tu as assouvi dans cet univers l’ivresse et la soûlerie du verbe qui supplante la souffrance des êtres. Tu as aimé la glose, la superbe dans les discours, l’exaltation des fausses croisades. Le djihad pour tout et pour rien qui vient contrer la fadeur de la vie, mettant en péril la quiétude des hommes. J’ai ressenti dans cet univers de fous, sobres de l’alcool, cette ivresse des idées sublimes. «
Deux révélations finales placent Carlos Bauverd sur le chemin de la rupture et de la renonciation au père. Il était temps.
C’est déchirant donc et admirable parce vrai.
On y retrouve les accents de Christa Wolf dans « Trame d’enfance », un autre écrivain floué par l’amour paternel (et rattaché aux Jeunesses hitlériennes), animé par la volonté de reconstruire son identité, sans père, ou gangréné d'un père assassin.
Un lien intéressant vers le boukin:
http://www.monde-diplomatique.fr/2004/03/ROCHETTE/11083