EXILS
de Tony Gatlif, le cinéaste de l’errance , du nomadisme, du déracinement auquel on doit déjà, entre autres, « Gaspar et Robinson », « Mondo », « Latcho drom », « Gadjo Dilo », “Je suis né d’une cigogne », « Vengo », « Swing »…
Ce film est l’occasion pour Gatlif de retourner vers la terre de ses origines : l’Algérie d’où il est parti en 1963( son père est Rom, sa mère algérienne).
« EXILS » a obtenu cette année le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes .
Le film commence par un très gros plan sur le dos de Romain Duris et un chant lancinant, bouleversant, comme un long cri, intitulé « Manifeste » et interprété par la voix cassée de Rona Hartner .
Puis Zano (Romain Duris) propose à sa compagne Naïma ( Lubna Azabal) de traverser la France, puis l’Espagne, pour rejoindre l’Algérie, la terre que leurs parents ont dû fuir autrefois. Zano est Français, orphelin ,fils de pieds-noirs et Naïma ne connaît de l’Arabe que son nom. Il entreprennent donc, à l’envers, le chemin de l’exil, un voyage vers leurs racines.
La musique, omniprésente comme dans tous les films de Gatlif, porte leurs pas : techno, flamenco, musique traditionnelle algérienne. Des musiques envoûtantes, enivrantes et variées. Gatlif n’a pas son pareil pour filmer la musique. Il fait d’ailleurs dire à Zano que « la musique est sa religion. ». La musique, il l’a dans le sang depuis toujours. « J’ai construit moi-même mon premier instrument, une guitare…avec un bidon d’huile et des câbles de vélo…J’ai toujours aimé les chœurs où le public n’est pas là pour écouter mais pour participer. »
Pas de dialogues, ou presque . L’histoire ne s’appréhende pas par les mots. Le langage, ici, est celui des sens et des sentiments. C’est vraiment une ode à la vie, à la musique, aux sens : les deux personnages se caressent, sentent, goûtent, boivent, dansent… dans une grande liberté.
La générosité des acteurs, la liberté et le naturel de leur jeu donne une puissance formidable à ce film fortement chargé en émotions : joie, souffrance, amour, colère, mélancolie. Romain Duris, rêveur et touchant. Lubna Azabal , magnifique, qui se donne totalement à son rôle à la fois émouvant et plein de vie.
Mais ce film, d’une sensualité lumineuse, est aussi très poétique. Un plan, beau et émouvant, revient de temps à autre dans le film : on y voit une foule, dont les vêtements et les physionomies évoquent l’Afrique du Nord et, à contre-sens, le jeune couple qui tente de se frayer un chemin…. Les paysages défilent , brûlés de soleil… La caméra sublime la main de Naïma pelant une orange… Elle s’attarde sur les friches industrielles ou les ruines transformées en campement de fortune par les immigrés clandestins que Zano et Naïma rencontrent.
Ce film généreux est un message de paix, de tolérance, d’acceptation de l’autre. Il n’y a aucune violence. L’ accueil est chaleureux partout, tout au long de leur voyage.
Pour finir, les deux voyageurs participent à une scène de transe soufie où les corps s’emmêlent et s’abandonnent au rythme des chants et des percussions.
« Ce film est né d’une envie de filmer une transe soufie thérapeuthique d’Afrique du Nord, dit Tony Gatlif…C’est très émouvant de voir un être humain sortir de ses gonds… abandonner toute pudeur ». 25 instrumentistes( tambourins, derboukas, flûtes, deux grosses cornes aux sons comme des pleurs d’animaux qui provoquent la transe)…Trois jours de répétition… Et le tout filmé en une prise unique, sans cut. Il en résulte un long plan-séquence haletant qui vous scotche à votre siège.
Un dernier chant gitan accompagne le générique…et vous vous dites qu’il y a tout de même, de temps à autres, d’excellents films français.