Les masques ne viennent jamais seuls. Nous les posons, un à un sur notre visage.
Dans les coulisses mystérieuses des détresses dont on ne peut se défaire.
Dans l’obscurité de la lumière crue, saillante, perçante, vorace de l’en-dedans de l’Etre.
Contact.
Les doigts fouillent le fard blanc. Lisse et blanc. Onctueux. Comme la chaude couverture contre l’hiver de glace. Fard tiède. Température idéale. Trompeur déjà. Tiède comme la peau. Onctueux comme la peau. Lisse et blanc. Comme elle. Il en est presque sensuel. Vacherie ! Il ne manquerait plus que ça !
Doigts maculés du ciment-geôle de notre chaos.
Déjà, ils ne sont plus doigts. Ils sont verrou. Mais le sait-on ? Le sait-on, quand ils approchent lentement ce visage à voiler, à cacher, à enfouir, à vomir, à soustraire, à haïr, à oublier, à enfoncer dans la terre plus profondément que les racines de l’arbre ancestral… Le sait-on…
Quelques minutes à peine ont suffi.
Vingt ans. L’éternité.
L’éternité toute entière entre l’instant où mes doigts parcourent la distance qui les sépare de mon visage. C’est long, l’éternité ! On a le temps de tout revivre, de tout refaire sans rien changer. On ne peut pas changer ce qui a vécu. On a le temps, une dernière fois, de refaire ce parcours. Les yeux dans les yeux de soi. Tout y est. J’ai vérifié. Tout y est.
Contact.
Ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient.
Barbouiller le visage. Tout le visage. Méticuleusement. Soigneusement. Attentivement. Passionnément. Ce sera le dernier geste passionné. Il faut le déployer. Lui donner son plein sens. Le sentir précis, volontaire et tenace. Dans la persévérance de l’extrême. Accomplir le chemin inverse.
Les doigts s’activent. Pommettes, front, tempes, les paupières, l’arête et les ailes du nez, le tour des lèvres, les lèvres même, le menton, le cou, les oreilles… Ils cimentent les doigts. Ils plombent de blanc la chair d’antan… déjà d’antan… déjà… quel gâchis !
Refaire le chemin en sens inverse. Quitter l’ombre de la lumière et entrer dans la lumière de l’ombre.
Barbouiller. Boucher les pores de la peau qui n’est plus peau déjà. Qui n’est plus que l’en-dedans, comme l’est l’en-dedans d’avant depuis toujours.
Le faire vite et lentement.
Pour ne pas penser. Ou pour y penser pour la dernière fois…
Avant de les ôter un à un, il faut les avoir posé un à un.
Dans l’anti-naissance de soi-même.
Ou dans la pré-mort.
C’est la même chose.
Clair Obscur - Novembre 2004