le débat interdit par fillon
On croyait le temps de la censure, au moins de la censure officielle et directe, révolu. Las... c’était sans compter sur la fébrilité d’un gouvernement qui ne fait l’économie d’aucune manoeuvre, aussi grossière et antidémocratique soit-elle, pour tenter dla montée du « non ». Dernier épisode en date, révélé mercredi par le Canard enchaîné : la censure d’une revue pédagogique à destination des enseignants. Le cabinet du ministre de l’Éducation nationale a bloqué la publication, dans un hors-série de Textes et documents pour la classe, d’un débat contradictoire entre Florence Deloche-Gaudez, docteur en sciences politiques, auteure de plusieurs ouvrages sur la constitution européenne, favorable à sa ratification, et Dominique Rousseau, professeur à l’université de Montpellier, membre de l’Institut universitaire de France, et partisan du « non ». Cette revue du Centre national de documentation pédagogique (CNDP) a finalement été publiée avec la seule contribution de Florence Deloche-Gaudez.
Rappel des faits. En novembre dernier, la rédaction de Textes et documents pour la classe contacte Florence Deloche-Gaudez et Dominique Rousseau, dans la perspective d’intégrer au numéro spécial consacré à la constitution européenne un débat pluraliste et contradictoire. Quelque temps auparavant, Dominique Rousseau avait clairement exprimé, dans une tribune parue dans Libération, son hostilité à ce projet de constitution. Florence Deloche- Gaudez, elle non plus, ne fait pas mystère des positions qui sont les siennes. D’ailleurs, le contrat est clair : il s’agit de permettre l’expression, à égalité, des arguments d’un partisan du « oui » et d’un partisan du « non ». Le principe et les noms des débatteurs sont validés par le cabinet du ministre. L’entretien croisé est réalisé en janvier, il est retranscrit, mis en page.
des arguments que les élèves ne sauraient voir
C’est à ce moment-là que le cabinet du ministre, sans doute conscient de la progression du « non », met son veto. Fin février, Dominique Rousseau reçoit un courriel lui signifiant que l’entretien n’est pas validé. Quelques jours plus tard, on lui propose de renoncer à certains de ses arguments, et de remanier le texte, afin qu’il se termine sur une réponse de Florence Deloche-Gaudez. Il refuse, et prévient qu’il s’exprimera publiquement en cas de censure. À Florence Deloche-Gaudez, on explique que le choix se porte finalement sur une explication « pédagogique » de quelques articles clés du projet de constitution.
la confrontation des idées étouffée par le gouvernement
Le ministère, qui avait pourtant validé, au départ, le principe d’un débat contradictoire entre un partisan du « oui » et un partisan du « non », estime aujourd’hui qu’il ne peut « pas y avoir de débat contradictoire en période électorale et que l’école doit être un lieu de neutralité ». Il assure que la contribution de Florence Deloche-Gaudez, finalement publiée, apporte des « explications factuelles et juridiques » sans prendre parti. Celle-ci ne dissimule pourtant pas son engagement pour le « oui », et estime, regrettant cet épisode, que « la pédagogie n’est pas contradictoire avec la confrontation des points de vue et des analyses ».
Reste que la censure de cet entretien est un acte grave, et, disons-le, indigne d’une démocratie. Au nom d’une conception de la « pédagogie » qui consiste dans l’exposé unilatéral des arguments du « oui », le gouvernement étouffe la confrontation des idées. Cela servira-t-il le camp du « oui » ? Rien n’est moins sûr...
Rosa Moussaoui
paru dans l'Humanité