Je vous salue bien bas...
Je vous salue bien bas, vous qui n’avez pas soulevé mon voile nuptial.
Je vous salue bien bas, au nom des tangos que nous n’esquisserons jamais, des dîners sans chandelles, des clairs de lune sans frissons, des bals masqués sans Roméo, des déclarations sans amour, et de l’amour sans attention.
Je vous salue bien bas, vous Monsieur, Maître de vos lieux sans rendez-vous galant, vous qui chantez la complainte des esclaves oubliés, en caressant le ventre de votre mère quand vous croyez caresser le mien, dans le cliquetis des clés de votre paradis semblable à mon enfer.
Je vous salue bien bas, Monsieur, honorant en cela votre voix de ténor tonitruante et bestiale, hachée de mots grossiers pour bâillonner mes rires.
Je vous salue bien bas, oui, bien bas, Monsieur, vous qui fauchez si bien mes élans d’amoureuse pour ne laisser qu’un champ en jachère, à la mémoire désordonnée, rebelle, fragile et glacée.
Je vous salue bien bas, plus bas si cela était possible, Monsieur, pour m’avoir fait comprendre si talentueusement qu’en ce monde d’amour, l’amour n’existe pas, qu’en ce monde spirituel on assassine encore la nécessité d’être femme quand on est femme, l’essentiel de son être, l’essence de son âme.
Je vous salue bien bas, Monsieur. Je lècherais même vos pieds si vous me le demandiez, mais ce serait alors de votre part solliciter une faveur et je conçois fort bien qu’il n’en soit pas question.
Je vous salue bien bas…
Elle avait dit cela d’une voix blanche, avant de s’en aller. Elle était partie sur une route anonyme. Puis elle s’était arrêtée au bord de l’eau. Au bord de l’Adour, je crois…
Alors, irrésistiblement attirée, elle s’était penchée vers son propre reflet, pour le saluer une fois, rien qu’une.
Elle n’a pas fait de bruit en glissant doucement, lentement, inexorablement, tirant sa dernière révérence.
Clair Obscur - 20 Octobre 2004